1) Quel est le sujet du film Des hommes et des Dieux ? Ce film délivre-t-il un message ? Et si oui, quel est-il ?
Des hommes et des dieux raconte les dernières années de présence des moines de Tibhirine en Algérie, de 1993 (intrusion d’un groupe armé dans le monastère) à 1996 (enlèvement par un autre groupe armé, cette fois-ci fatal). Le film présente les liens fraternels de ces cisterciens-trappistes avec leurs voisins musulmans et la montée de la violence qui oblige la communauté à se poser une question grave : faut-il partir ou rester ? La question de la fidélité et du martyre est donc posée. L’absurdité de la violence apparaît en contraste avec la fraternité universelle vécue sous le regard du spectateur.
2) Avez-vous été surpris par le fait que le film reçoive le prix de l'Education nationale ? Qu'en penser ?
Je trouve intéressant que le prix de l’Education nationale consacre un film à fort contenu religieux. Il me semble important d’enseigner ce que l’on appelle aujourd’hui le « fait religieux » en montrant que les groupes et idéologies confessionnelles sont multiples et poursuivent parfois des buts totalement opposés. Dans le film, le spectateur découvre à la fois des villageois musulmans qui invitent les moines chrétiens à une fête religieuse (hospitalité) et un groupe islamiste qui tue des civils innocents (intolérance). Les moines eux-mêmes soulèvent beaucoup de questions sur leur vocation : comment se situer par rapport à la violence et au contexte politique ? La solidarité avec les villageois doit elle se payer par une complicité avec l’une des deux parties en conflit ? Faut-il accepter une protection militaire plutôt que risquer sa vie dans une résistance désarmée ? La communauté de Tibhirine prolonge subtilement les débats qui traversent encore une partie du christianisme, hésitant entre une « légitime défense » dans le sillage du concept de « guerre juste » élaboré par saint Augustin et le pacifisme actif de Martin Luther King, qui refuse l’exode communautariste et croit en la rencontre (comme Frère Christian en fait l’expérience lorsqu’il résiste aux demandes du groupe armé la nuit de Noël 1993).
3) Quels sont les grands thèmes traités par le film qui peuvent intéresser les enseignants ?
En histoire-géographie, les questions sont religieuses (christianisme et islam, monachisme) ainsi que politiques (l’Algérie, la France et le Maghreb, le terrorisme). En philosophie, se posent les questions de la fidélité, du sens de l’existence, de la résistance non violente.
4) Quelle exploitation peut-on en faire au lycée ? Et dans quelles disciplines selon vous ?
Il serait intéressant de demander aux élèves en histoire-géographie ou en philosophie d’effectuer des recherches sur Internet et au CDI sur le film, sur les moines de Tibhirine, sur l’Algérie, le terrorisme et le monachisme. Quelles sont les questions qu’ils se posent au terme de ce travail de recherche ? Après avoir établi la liste de ces questions ensemble, le film pourrait apporter son éclairage. Puis un débat permettrait d’élaborer plus précisément les réponses, les compléter, ouvrir d’autres questions.
5) Est-ce un film trop difficile pour des collégiens ?
J’ai invité une petite fille de 11 ans (CM2) à la projection à Cannes, avec son frère de 14 ans (3e) et sa sœur aînée de 16 ans (terminale). Tous ont été captivés par le film. Je craignais personnellement la scène où des ouvriers croates sont égorgés par un groupe armé, mais Elsa n’a pas été choquée. Ceci dit, je pense que ces images-là (ce sont les seules) sont trop explicites pour des élèves de 6e et 5e (sauf autorisation des parents). Le film n’est donc pas trop « difficile », il contient une scène trop explicitement violente pour de jeunes enfants. Il me paraît intéressant pour un public de troisième.
6) Quel usage possible dans le cadre de la catéchèse ?
Ce film, contrairement à un documentaire comme Le Grand silence (sur les chartreux), donne des clés de compréhension explicitement chrétiennes : les moines chantent en français (15% du texte du film est constitué d’hymnes et de psaumes), et s’interrogent sur leur vocation. Une vraie catéchèse est proposée sous forme de « théologie narrative ». Le film est suffisamment fort pour inviter à la méditation et la prière. A vrai dire, il est lui-même, à bien des égards, une prière. Une réflexion pourrait être initiée sur ce que l’on entend par « religion » et « Dieu ». Les religions peuvent apporter aussi bien la guerre que la paix. Pourquoi ? Quand nous parlons de « Dieu », quel Dieu est invoqué ? Un guerrier tout puissant qui s’impose par tous les moyens ou un humble serviteur qui vient habiter parmi nous pour donner sa vie aux hommes ? Un travail sur les chants, certains gestes et propos des moines seraient très éclairants. Quelle différence introduire entre « Islam » et « musulmans », « christianisme » et « chrétiens ». D’un côté des religions (dogmes et pratiques), de l’autre des êtres de chair et de sang. Que dit Jésus dans les évangiles à ce sujet ? Une relecture du chapitre 25 de l’Evangile selon Matthieu serait féconde pour comprendre que la fraternité universelle est concrète et déjoue les frontières confessionnelles : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli ; nu, et vous m’avez vêtu ; j’ai été malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus à moi. » Faim : Christophe a travaillé la terre avec les associés du village. Soif : Paul a mis en place le système d’irrigation. Hospitalité : Amédée et Célestin ont accueilli à la porterie. Vêtements : Michel et Bruno ont secouru les pauvres. Soins : Luc recevait jusqu’à 150 patients par jour au dispensaire. Prisonniers : Jean-Pierre a visité le gardien Mohammed suspecté de complicité après l’enlèvement. Christian et ses frères ont su placer l’homme concret au centre. La communauté de Tibhirine était elle-même pauvre, étrangère (des moines français en Algérie), malade (Célestin opéré du cœur, Luc asthmatique et surmené), prisonnière d’une situation politique impossible. Les voisins algériens de Notre-Dame de l’Atlas ont su accueillir chacun de ses moines. Voilà des perspectives universalistes et constructives qui peuvent rejoindre la soif de concret des élèves. La Bonne Nouvelle de l’Incarnation d’Amour pourrait ainsi être annoncée.