Profession : conseiller monastique
Par Emmanuèle Frois et Sébastien Le Fol
Le Figaro, 19/05/2010
Ancien trader et ex moine cistercien, Henry Quinson a familiarisé le réalisateur et les acteurs du film «Des hommes et des dieux» avec les règles de la vie monastique.
Il est seul à Cannes cette année à avoir cette fonction au générique d'un film: conseiller monastique. Sans Henry Quinson, Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois ne serait peut-être pas cette œuvre aussi imprégnée de spiritualité. Trader à la banque Indosuez dans une première vie, moine cistercien trappiste dans une deuxième, et animateur d'une petite fraternité dans les quartiers nord de Marseille dans une autre, cet homme longiligne et charismatique a bien connu quatre des moines de Tibihirine, à commencer par le prieur Christian de Chergé, incarné à l'écran par Lambert Wilson. Il rencontra l'un deux, Paul Favre-Miville (Jean-Marie Frin), au monastère de Tamié, juste avant son départ en Algérie. Il se souvient encore avec émotion de ses derniers mots («Tu me remplaceras») et du cadeau qu'il lui offrit: son propre psautier.
«Je suis chrétien et pour moi rien n'arrive par hasard», confesse Henry Quinson à une terrasse cannoise, arborant une tenue très festivalière (chemise ouverte et lunettes de soleil). On peut même dire que depuis l'assassinat des moines, il est poursuivi pour ne pas dire hanté par cette affaire. Outre une autobiographie intitulée De Wall Street aux quartiers nord de Marseille, il a écrit une méditation, Prier quinze jours avec Christophe Lebreton, sur l'un des moines assassinés avec lequel il avait passé cinq ans à Tamié. Avant de traduire en français l'enquête du journaliste américain John Kiser, Passion pour l'Algérie : les moines de Tibihirine.
«L'amour espère tout et endure tout»
Il y a quelques années, il envisage de porter cette histoire au cinéma. Il contacte alors un dirigeant de Pathé, qu'il a côtoyé un temps dans l'entourage de Raymond Barre. Refus poli de l'intéressé. Quelques semaines plus tard, un mail du scénariste Étienne Comar arrive dans sa boîte. «Il voulait savoir si c'était une bonne idée de faire une fiction sur les moines. J'ai d'abord cru que c'était une plaisanterie. Puis, j'ai accepté de le rencontrer avec le réalisateur Xavier Beauvois. Leur projet m'a plu car il s'intéressait davantage à la vie à Tibihirine avant la tragédie qu'à la tragédie elle-même. La question posée était: “Qui étaient les moines?” et non: “Qui les as tués?” Cela m'a rassuré car je craignais que l'on s'aventure dans une sorte de James Bond monastique avec des têtes coupées.»
Henry Quinson signe son premier contrat de cinéma. Sa mission: «Veiller à ce que le film soit monastiquement correct». À l'aide des centaines de photos qu'il a prises à Tibihirine, il participe avec Michel Barthélémy à la reconstitution du décor, au vitrail près, dans un petit monastère abandonné du Maroc retapé pour l'occasion. Il veille autant à la bonne longueur des coules (vêtements à capuchon) qu'au choix des treize chants religieux qui ponctuent le long-métrage. Mais le plus dur de son travail consiste à familiariser les acteurs avec l'atmosphère et les rites monastiques. C'est pourquoi, durant trois jours, il décide de se retirer avec eux chez les cisterciens. «Cette expérience les a décapés, se souvient-il en souriant. Mon premier objectif était de leur monter que la vie monastique ne ressemblait pas à une publicité pour le fromage Chaussée aux moines! Chacun d'entre eux avait un rapport particulier à la foi en général et à la vie chrétienne en particulier. Plusieurs d'entre eux étaient agnostiques ou athées et tel ou tel a fait sa première communion au cours du tournage! Pour eux, cela a représenté un virage absolu, contrairement à Michael Lonsdale, catholique affiché, et Lambert Wilson, qui a été baptisé par l'Abbé Pierre.»
Si Henry Quinson insiste sur la dimension chrétienne du film de Xavier Beauvois, il estime qu'il porte un message universel. «La problématique de ces moines, “rester ou partir”, est celle de tous les êtres humains. Eux aussi doutent, eux aussi ont peur de la violence extérieure.» Quand on lui demande pourquoi, selon lui, ils sont restés, il répond: «En choisissant la voie du monastère, ils avaient déjà donné leur vie.» Et de citer cette belle parole: «L'amour espère tout et endure tout.» Des hommes et des dieux est en tout point un film miraculeux. Des miracles, il y en eut au cours de cette aventure cinématographique et spirituelle. Xavier Beauvois avait prévu de tourner la scène de l'enlèvement dans les tout derniers jours. Fait exceptionnel : pas de neige en décembre et janvier à 1 600 mètres d’altitude. Mais la neige est tombée juste pour ce jour-là, recouvrant le paysage et les acteurs d'une blancheur qui symbolise, selon Henry Quinson, la victoire des moines sur les ténèbres de l’hiver, de la violence et de la mort. Les non-croyants aussi y verront un message.