« Le dialogue purement théologique est sans
issue.»
Christian de Chergé, avril 1995[2]
L’exacerbation d’un certain nombre de tensions, largement
médiatisées, conduit de plus en plus d’Européens
à se poser la question : comment vivre avec l’islam ?
Fondée sur dix années de vie dans une cité HLM
à Marseille (France) où la population est
majoritairement originaire de pays de tradition musulmane, les
réflexions qui suivent voudraient apporter une contribution
certes limitée mais positive dans un climat
général plutôt circonspect.
Un climat tendu
De fait, l’année 2006 a été marquée
par de nouvelles tensions : affaire des caricatures du
prophète de l’islam publiées en septembre 2005 par un
journal danois et diffusées quatre mois plus tard par certains
medias internationaux ; réactions enflammées à
une citation de Benoît XVI dans un discours à Ratisbonne
sur les rapports entre foi et raison le 12 septembre 2006 ; menaces
de mort proférées à l’encontre d’un professeur
de philosophie, Robert Redeker, à la suite d’une tribune sur
l’islam dans Le Figaro du 19 septembre 2006, obligeant
l’intéressé à vivre sous haute surveillance sur
le territoire même de la République française.
Ces événements ont renforcé l’idée que
les relations entre l’islam et le monde occidental sont
essentiellement conflictuelles. L’opinion publique de part et d’autre
de la Méditerranée assiste à une mise en image
de propos, parfois sortis de leur contexte, et de manifestations de
foules, rarement équilibrées par des reportages sur
ceux qui ne se précipitent pas dans la rue pour brûler
des ambassades ou des églises. Ce spectacle créé
ou entretient un certain climat. Les deux guerres en Irak et la
dégradation du conflit israélo-palestinien n’ont
évidemment rien arrangé. Ceux qui visent les records
d’audimat en théâtralisant la violence gagnent de
l’argent en encourageant ce jeu dangereux, et ceux qui agissent par
calcul politique engrangent de part et d’autre les
bénéfices de la haine et de la peur. Mais ce spectacle
de l’islam de la rue arabe amplifié par l’islam satellitaire
de chaînes comme Al-Jezira[3], relayé par de
nombreux medias occidentaux, ne saurait épuiser la
réalité du monde musulman aujourd’hui.
Migrations et « réciprocité »
Il convient sans doute de distinguer les contextes pour
décrire les rencontres possibles entre chrétiens et
musulmans. Notre Fraternité est présente en
Algérie. Là-bas, la vertu musulmane
d’hospitalité encourage les relations de bon voisinage mais
certains courants de l’islam politique radical et le terrorisme
islamiste ont créé des réflexes de peur devant
toute affirmation trop marquées de sympathie envers des
voisins non musulmans. Le passé colonial, la guerre
d’indépendance et la nature du régime politique en
place entretiennent un climat de méfiance vis-à-vis du
« christianisme ». Pourtant, l’Eglise catholique a aussi
versé son sang par amour du peuple algérien dans les
années 1990, en particulier à travers les dix-neuf
religieux et religieuses assassinés entre 1993 et 1996. En
mars 2006, une loi interdisant le « prosélytisme » a
renforcé l’arsenal juridique visant à empêcher
les conversions de musulmans au christianisme. Ce sont surtout les
communautés protestantes dites «
évangéliques » qui sont visées, en
particulier en Kabylie. Mais les musulmans devenus catholiques vivent
en fait cachés pour l’immense majorité d’entre eux, par
crainte des réactions de leur entourage plus encore que de
l’Etat.
Un certain nombre d’observateurs estiment que cette situation a
largement contribué à l’exode des chrétiens dans
l’ensemble des pays musulmans et que « l’élimination
progressive des minorités […] chrétiennes est en cours
d’achèvement au Moyen-Orient »[4]. A
l’évidence, ceci ne favorise pas des relations
islamo-chrétiennes constructives fondées sur
l’expérience quotidienne d’un voisinage fraternel. Au
contraire, faute de relations interpersonnelles, les caricatures de
l’autre sont encouragées par certains leaders d’opinion : tous
les chrétiens deviennent alors des « croisés
» comme en Occident tous les musulmans sont parfois
considérés comme des crypto-terroristes.
Le statut de dhimmi réservé aux « gens du Livre » (expression coranique qui désigne
les juifs et les chrétiens) en « terre d’islam » est
donc vécu comme une inégalité de traitement des
minorités religieuses, alors que les institutions
internationales prônent partout l’égalité des
droits des citoyens. D’où le thème récurrent de
la nécessaire « réciprocité ». Le Pape
Jean-Paul II, dans son discours aux jeunes de Casablanca en 1985
n’hésita pas à rappeler que « le respect et le
dialogue requièrent la réciprocité dans tous les
domaines, surtout en ce qui concerne les libertés
fondamentales et plus particulièrement la liberté
religieuse. Ils favorisent la paix et l’entente entre les peuples. »
« Pastorale des migrants » et « dialogue
interreligieux »
Mais les juifs et les chrétiens ne sont pas les seuls
à quitter les royaumes et les républiques islamiques.
L’exode des familles musulmanes a été encore plus
important ces dernières décennies. Selon Mme Shirin Ebadi[5], le pourcentage des jeunes qui
quittent l’Iran était, en 2003, le plus élevé de
tous les pays du monde[6]. C’est ainsi que la
diversité religieuse des grandes villes occidentales s’est
accélérée. En France, l’islam est une composante
importante de ce pluralisme puisque les musulmans constitueraient 10%
de la population française selon certains observateurs. Ce
chiffre placerait la France au quinzième rang des 56 pays que
compte l’Organisation de la conférence islamique. Cette
réalité nouvelle, dans le cadre d’institutions
politiques laïques, est l’occasion de rencontres
fécondes. C’est dans ce contexte global que s’inscrit la
présence de notre petite communauté catholique dans une
cité HLM de Marseille depuis dix ans.
La cité que nous habitons a été bâtie
en 1962 pour accueillir les rapatriés d’Algérie,
pieds-noirs et harkis notamment. Mais elle est maintenant
peuplée de familles d’origines algériennes,
tunisiennes, comoriennes et turques venues principalement pour
améliorer leurs conditions d’existence. Notre présence
gratuite est fondée sur la prière, le travail et
l’hospitalité. Le choix de notre logement découle d’une
démarche spirituelle chrétienne : si Dieu s’est fait
homme en Jésus Christ, l’Eglise doit aussi s’incarner dans
cette nouvelle réalité humaine dite des «
banlieues » populaires où vivent beaucoup de familles
issues de l’immigration. Le mouvement premier est donc d’accueillir
l’étranger et le pauvre quelle que soit son étiquette
confessionnelle. Les spécialistes parleront de «
pastorale des migrants » même s’il s’agit surtout ici de
vivre avec nos voisins en frères, de manière gratuite,
par amitié et reconnaissance de notre commune humanité.
Comme la plupart de nos voisins sont originaires de pays
majoritairement musulmans, notre identité chrétienne
suscite forcément des questions, qui sont parfois
explicitement théologiques. On entre alors dans ce que
certains appellent aujourd’hui le « dialogue interreligieux.
» On voit donc bien que notre présence revêt une
double dimension : partage de vie avec des voisins modestes issus de
l’immigration (relevant de la « pastorale des migrants »)
et cohabitation avec des familles de tradition religieuse
différente, principalement musulmane (suscitant le cas
échéant des formes de « dialogue interreligieux
»). Il est important de distinguer ces deux dimensions car elles
posent des défis spécifiques quoique
concrètement liés en une seule réalité.
Rencontre interreligieuse de proximité
Vivre avec des voisins musulmans est souvent envisagé sous
l’angle très ambitieux du « dialogue interreligieux
». Encore faut-il s’entendre sur la réalité et sur
les mots. S’agit-il seulement d’un échange verbalisé
autour d’un certain nombre de questions confessionnelles ? On oublie
alors que beaucoup de nos voisins maîtrisent mal le
français et n’ont que rarement les outils théologiques
pour dialoguer sur le terrain religieux même dans leur propre
langue. C’est la raison pour laquelle le terme de « rencontre interreligieuse » est sans doute ici
préférable. Cette rencontre interreligieuse n’est
d’ailleurs qu’une des nombreuses dimensions de la rencontre des
personnes, car nos voisins sont des êtres sociaux
marqués par leur insertion ou absence d’insertion
économique, leur personnalité propre, leur langue et
leurs traditions culturelles spécifiques.
Néanmoins, le fait de créer des liens sans dimension
religieuse immédiate est de nature à faire
évoluer les relations entre communautés religieuses. Un
de nos voisins comoriens, par exemple, nous a invités
récemment à son mariage religieux (musulman). Nous
étions les seuls chrétiens. Pour beaucoup,
c’était sans doute une expérience inédite.
L’interprétation et les conséquences objectives de
l’événement sont difficiles à évaluer.
Mais une chose est sûre : nous avons été
invités parce que nos liens avec la famille étaient
avant tout de voisinage. En effet, le fils de ces voisins
était venu à l’accompagnement scolaire organisé
chez nous et nous avions aidé ses parents lorsque leur
appartement avait brûlé accidentellement. Le voisinage
suscite donc des rencontres interpersonnelles qui, à leur
tour, invitent parfois à l’échange spirituel et
religieux. Par conséquent, il s’agit moins de « vivre
avec l’islam » que de vivre avec des voisins qui sont, entre
autre chose et de manière parfois fort différente, plus
ou moins musulmans.
Chrétiens et musulmans solidaires dans la pauvreté
D’ailleurs, dans les cités HLM, les critères
d’appartenance confessionnelle sont très variables. Un jeune
voisin musulman nous a dit : « Vous êtes de vrais
moines parce que vous accueillez tout le monde » ; un autre
a retenu le critère suivant : « Vous faites la
prière ». Les frontières ne correspondent pas
toujours aux définitions données par les clercs ou les
spécialistes de l’histoire des religions. Ainsi, une voisine,
qui sait que je suis chrétien, me dit un jour : « Nous
sommes tous musulmans. » Elle voulait dire : « Nous
sommes tous croyants. » Mais qu’est-ce qu’être «
croyant » ? De quel « Dieu » s’agit-il ? Le
critère des pauvres est souvent celui des évangiles :
l’amour du prochain. Celui qui a bon cœur est
généralement reconnu comme un homme de Dieu.
L’étiquette collée sur le pot de confiture ne suffit
pas : le voisinage dans la durée met chacun à
l’épreuve de la charité en acte.
Ce constat n’est pas spécifiquement chrétien ou
marseillais. Farid Esack, théologien musulman appartenant
à la minorité indo-pakistanaise d’Afrique du Sud, est
parvenu à une conclusion assez similaire. Sa famille
était très pauvre, et durant son enfance il a fait
l’expérience de la solidarité avec des voisins
chrétiens : « Comment aurais-je pu regarder Mme
Batista et Tante Katie dans les yeux tout en croyant que,
malgré la gentillesse qu’elles manifestaient dans toute
affaire à notre égard, elles étaient
destinées à la malédiction de l’enfer ? »[7] Farid Esack en a déduit que toutes les
religions (ainsi que les athéismes) se divisent entre les
courants qui pactisent avec l’injustice et ceux qui la combattent. Il
rejoint ainsi le propos de Jésus dans Mt 7 et Mt 25 : le
critère le plus important n’est pas celui des
étiquettes confessionnelles mais celui de la fraternité
concrète.
Synthèse personnelle évolutive
La « laïcité à la française »
introduit encore plus de flou dans les frontières. Le fait de
ne pouvoir exposer publiquement sa foi confine le religieux dans un
rôle apparemment secondaire et subjectif, un peu semblable au
choix du papier peint pour décorer son appartement : chacun
ses goûts, chacun ses couleurs ! Dans ce contexte
individualiste, subjectiviste et privé, il ne reste
guère que le voisinage et l’amitié pour ouvrir une
brèche : chez soi, on peut enfin dire ce que l’on pense
vraiment au fond du cœur sans que ces échanges spirituels ne
soient perçus comme du prosélytisme
déplacé. Mais l’appartenance confessionnelle
elle-même étouffe bien souvent le débat
théologique et anthropologique : l’identité religieuse
est généralement considérée comme
liée au groupe ethnique ou linguistique. Elle est rarement, au
départ, l’objet d’une recherche et d’un choix personnel.
Là est pourtant l’enjeu essentiel : donner aux jeunes les
moyens intellectuels et pratiques pour qu’ils apprennent le
discernement spirituel authentique et découvrent
progressivement, par la rencontre et le dialogue, le vrai visage de
Dieu. Ce cheminement ne peut se faire que dans la durée. Il
commence par l’écoute des contradictions vécues mais
pas toujours formulées par nos voisins. Par exemple, beaucoup
de jeunes se disent musulmans parce qu’ils font le ramadan ou les
cinq prières rituelles quotidiennes. Mais les mêmes
personnes peuvent souhaiter une évolution du statut de la
femme par rapport à celui que préconise leur milieu
familial ou leur pays d’origine[8]. Ce genre de double
attitude découle du fait que les jeunes suivent les consignes
religieuses à la maison, mais regardent aussi la
télévision française et reçoivent
l’enseignement de l’Education nationale.
« Liberté » et « relation libérante
»
Il ne faut pas hausser les épaules devant ces
contradictions mais comprendre qu’elles sont propres à la
situation des émigrés en France et de toute
société dynamique[9]. Il n’est ni
réaliste ni souhaitable de vouloir définir une fois
pour toute le contenu de son identité religieuse de
manière tranchée et formelle : mieux vaut
élaborer petit à petit une synthèse provisoire
liée au pluralisme de la société occidentale. La
pensée théologique a elle-même tout à y
gagner, tant du côté musulman que du côté
chrétien. Par exemple, la plupart de nos jeunes voisins
découvrent à l’école de la République
qu’il y a des chrétiens « arabes ». La distinction
entre ethnie, culture, langue, nation et confession religieuse
apparaît pour la première fois dans leur
représentation du monde. Par contrecoup, cette
découverte oblige à une reformulation plus
précise de la foi des uns et des autres. Ce travail
d’approfondissement permet d’enrichir nos traditions religieuses
respectives en les comparant dans leur développement
historique et géographique.
Les discussions peuvent prendre un tour plus explicitement
théologique. Lundi 11 décembre 2006, l'accompagnement
scolaire se termine. Il reste A., française d'origine
algérienne kabyle, et S., française d'origine
comorienne. Toutes les deux ont treize ans et sont musulmanes. Le
débat porte sur le fait que certains collégiens
musulmans ont refusé d'aller à la piscine pendant le
ramadan. S. les comprend : « De l'eau dans la bouche ou les
oreilles, ça casse le ramadan. » A. proteste : « Dieu sait quand on ne fait pas exprès ! »
J'interviens : « S., Allah est-il intelligent ? » Ma
jeune voisine acquiesce : Dieu, dans sa tradition comme dans la
mienne, est omniscient. La conversation se termine sur un
progrès théologique et pratique : si Dieu est
intelligent, il ne peut pas nous demander d'être bêtement
ritualiste, sauf à mépriser la raison. Les questions et
les réponses sont venues de deux jeunes musulmanes. L'adulte
chrétien n'a fait que glisser une question sur les attributs
de Dieu et il y a eu rapprochement des points de vue sans changement
d'étiquette confessionnelle.
Quand nos jeunes voisins sont majeurs et se posent des questions
plus exégétiques, certains empruntent d'eux-mêmes
le chemin décrit par l'écrivain franco-tunisien
Abdelwahab Meddeb, qui estime qu'« il faut procéder
à une lecture évangélique et de la Bible et du
Coran : c'est le littéralisme qui est mortel. »[10] Progressivement, les réflexions sur
l'histoire textuelle et rédactionnelle du Coran surgissent de
la confrontation entre foi et méthodes d'analyse
scientifique[11]. Des débats commencent à
naître et nous sommes parfois questionnés. Ainsi, K., 24
ans, s'interroge à partir des évangiles apocryphes dont
la télévision a parlé. Les questions sur « l'inimitabilité » du Coran et son statut de
« parole incréée » de Dieu ne peuvent
être débattues que dans une relation de voisinage et de
service désintéressé qui coupe court aux
suspicions d'intolérance et de complexe de
supériorité " néocolonialistes » ou "
racistes ». Christophe Lebreton, moine chrétien
assassiné en Algérie au printemps 1996, affirmait :
« Ce que l'on peut offrir de meilleur à l'autre, c'est
sa liberté. » Mais il précisait que cette
liberté ne pouvait être reçue que « dans
une relation libérante »[12]. Or, cette
« relation libérante », c'est d'abord la
rencontre des personnes : le débat ne peut s'engager et porter
du fruit que dans la confiance d'une amitié
éprouvée par le temps et la proximité d'une vie
concrète partagée.
Fraternité universelle
Une autre dimension de la rencontre avec des voisins musulmans est
précisément de témoigner en faveur d’une
fraternité possible entre personnes différentes. En
effet, quand nous faisons venir des personnes de milieux divers pour
aider les jeunes du quartier en matière scolaire, ces
personnes de milieux complètement étrangers (en temps
normal, ils n’auraient jamais été amenés
à se rencontrer) vivent une expérience personnelle qui
leur permettra de ne pas absorber passivement les informations
généralement négatives et
stéréotypées véhiculées par
certains médias. Quand ils entendront parler des «
musulmans » ou bien dans l’autre sens des «
chrétiens », le contact et la connaissance
éprouvés des uns et des autres seront garants d’une
fraternité universelle vécue comme possible. Cette
expérience constitue un apprentissage à la
complexité et aux nuances des réalités
concrètes et personnelles, et elle contient un message
symbolique très puissant, qui est un tremplin pour
d’éventuels échanges plus précisément
théologiques.
La clef du dialogue réside donc dans la reconnaissance
préalable de l’autre, qui est forcément
différent. Ceci est d’autant plus vrai que beaucoup de
familles « musulmanes » se considèrent et sont
regardées comme « étrangères », alors
même qu’elles ne sont guère « pratiquantes »
et qu’elles ont déjà obtenu la nationalité
française. Il est intellectuellement nécessaire de
distinguer « débat théologique » et «
accueil de l’étranger », mais la pratique de cette
distinction est délicate et demande une étape de
reconnaissance concrète de l’autre par un voisinage fraternel.
Les différences ne sont pas toujours des richesses : le
nazisme devait être dénoncé, son idéologie
ne pouvait pas être « accueillie » au nom du «
pluralisme ». De même, la majorité des musulmans
condamnent la violence des organisations terroristes qui se
réclament de l’islam. Surtout, les différences doivent
donner lieu à des débats contradictoires. C’est
l’échange des idées qui permet le progrès
scientifique : le savoir s’approfondit et s’affine par confrontation
pacifique. Celui qui s’était trompé gagne à
être « corrigé avec bonté »[13] : c’est lui qui progresse, et non celui qui
avait raison et qui n’a donc rien appris de la confrontation. De
même, l’expérience de l’altérité dans la
vie sociale doit permettre aux jeunes de se familiariser avec le
point de vue de l’autre et, dans certains cas, d’en adopter telles ou
telles conclusions si elles sont justes et transférables.
Ceux que rassure l’appartenance des uns et des autres à des
blocs monolithiques et définitifs vivent mal ces risques de
métissages culturels et religieux. Les mariages
intercommunautaires sont souvent inconfortables. Mais le dialogue
sincère et respectueux des consciences ne saurait
déboucher sur un syncrétisme appauvrissant ou des
hérésies dangereuses. Au contraire, sans le défi
des échanges dans un esprit d’écoute et de service
mutuel, le vrai Dieu ne peut se révéler
entièrement ni l’humanité progresser dans sa
quête fraternelle de la Vérité. Les cités
HLM d’Occident peuvent être ce creuset où
chrétiens et musulmans sont appelés ensemble à
approfondir et purifier leur foi.
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[1] Henry Quinson est membre fondateur de la Fraternité
Saint Paul, communauté catholique d’inspiration monastique
présente en milieu musulman à Marseille et en
Algérie. Traducteur du livre de John Kiser, Passion pour
l’Algérie : les moines de Tibhirine (Nouvelle Cité,
Prix des libraires Siloë 2006), Henry Quinson est l’auteur de Prier 15 jour avec Christophe Lebreton, moine, poète et
martyr à Tibhirine (Nouvelle Cité, février
2007) et a publié de nombreux articles sur la
communauté Notre-Dame de l’Atlas, l’islam, les relations
islamo-chrétiennes et l’accueil des migrants en milieu urbain.
[2] Christian de Chergé, « Dialogue inter-monastique
et islam », Montserrat, avril 1995-novembre 1995, in
L’invincible espérance, Bayard éditions /
Centurion, 1997, p. 209.
[3] Al-Jezira compterait entre 35 et 40 millions de
téléspectateurs quotidiens dans le monde.
[4] Alain Besançon, Trois tentations dans l’Eglise,
Perrin, 2002, p. 146.
[5] Mme Ebadi est la première femme musulmane
à avoir reçu le Prix Nobel de la Paix, en 2003.
[6] Commission des Affaires étrangères, compte-rendu
n° 24, 18 décembre 2003.
[7] Cité par Rachid Benzine, Les nouveaux penseurs de
l’islam, Albin Michel, 2004.
[8] A titre d’exemple, l’Assemblée nationale
algérienne adopta, en 1984, un code de la famille qui
réduit les femmes au rang de personnes mineures, donne aux
hommes le droit d’interdire à leurs épouses de
travailler en dehors de la maison, la possibilité de divorcer
sur simple demande, le pouvoir d’empêcher leurs filles de se
marier sans l’accord paternel, et défend aux musulmanes
d’épouser un non-musulman.
[9] Notons que la France laïque et catholique n’a
accordé le droit de vote aux femmes qu’en 1946, dix ans
après la Turquie laïque et musulmane.
[10] Le Monde, 3 octobre 2006.
[11] Jan M. F. Van Reeth a récemment publié une
excellente analyse synthétique de cette question
décisive : « Nouvelles lectures du Coran, défi
à la théologie musulmane et aux relations
interreligieuses », Communio, n° XXXI, 5-6 –
septembre-décembre 2006.
[12] Le souffle du don, journal de frère Christophe,
moine de Tibhirine, 8 août 1993 - 19 mars 1996, Bayard Editions
/ Centurion, 1999, p. 179.
[13] Psaume 140/141.
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