Bernard lewis est l'orientaliste anglo-saxon le plus en vue, comparable en France à des savants comme Jacques Berque ou Maxime Rodinson (lequel préfaça en 1982 le célèbre essai de B.Lewis, les Assassins, éditions Berger-Levrault). Une dizaine de ses ouvrages ont été traduits en français, notamment Juifs en terre d'Islam (Calmann-Lévy), Comment l'Islam a découvert l'Europe (La Découverte) et l'Islam et Laicité (Fayard). Né en 1916 à Londres dans une famille juive, Bernard Lewis a longtemps enseigné l'histoire du Proche-Orient à l'université de sa ville natale (1949-1974), avant d'émigrer aux Etats-Unis - il se définit volontiers comme "anglo-américain" - où il a été professeur à Princeton et où il reste chercheur dans la même université. Spécialisé notamment dans la grande époque médiévale arabe et la Turquie ottomane puis kémalienne.
LE POINT : Après avoir été, pendant près de mille ans, un centre de civilisation, le monde musulman s'est, écrivez-vous, « appauvri, affaibli, enfoncé dans l'ignorance ». A quel moment se situe le tournant ? Est-il possible de le dater ?
BERNARD LEWIS : Cela n'a pas été un « moment ». Le changement s'est déroulé sur plusieurs siècles. Aujourd'hui, nous pouvons regarder en arrière et essayer de le considérer dans une perspective globale, historique. Evidemment, ce n'était guère possible à l'époque, mais beaucoup de gens s'emploient, désormais, à le faire, dans le monde islamique et ailleurs. Ce changement s'est effectué de diverses manières, à des époques différentes et dans des endroits différents. A la fin du XVIIe siècle, il était général et sans équivoque.
LE POINT : L'âge d'or de l'islam est aussi celui de son expansion. L'islam ne peut-il s'épanouir que dans la conquête ?
BERNARD LEWIS : Le mode d'expansion de l'islam n'est pas du tout limité à la conquête militaire. En Asie du Sud-Est et, dans une très large mesure, en Asie centrale et en Afrique, la propagation de l'islam s'est faite par influence et persuasion.
LE POINT : Pendant des siècles, le monde musulman a été capable d'absorber les idées et les techniques venues de la Grèce, de Rome, de la Chine, de l'Inde. Puis il s'est refermé sur lui-même. Comment l'expliquez-vous ?
BERNARD LEWIS : C'est la question cruciale, à laquelle de nombreuses réponses ont été proposées. Certains imputent la faute à l'islam, ce qui est difficilement concevable, puisque la période la plus créative de cette civilisation correspond à la fois à son apogée et à un temps proche de ses origines. D'autres attribuent le changement à des écoles ou à des interprétations de l'islam dont ils pensent qu'elles ont eu un effet négatif. D'autres encore en voient la cause dans l'interpénétration du politique et du religieux. Comme il en va de la plupart des grandes questions de l'Histoire, il n'y a pas d'explication simple acceptable par tous. J'ai essayé de passer en revue celles qui ont été avancées, en particulier celles des musulmans qui ont un regard critique sur leur société.
LE POINT : Les grandes découvertes et les percées scientifiques ont été l'oeuvre de l'Europe et non du monde musulman, qui semblait, pourtant, plus développé à l'époque. Pourquoi ?
BERNARD LEWIS : Pendant très longtemps, les plus grandes découvertes scientifiques ont été faites dans le monde musulman et non pas en Europe. Les étudiants européens fréquentaient des universités musulmanes en Espagne, en Sicile et ailleurs, et ils apprenaient l'arabe pour lire et parfois traduire d'arabe en latin des textes scientifiques et philosophiques. D'une certaine façon, cela pose plus question sur l'histoire européenne que sur l'histoire musulmane.
LE POINT : Depuis le siècle dernier, le monde musulman a tenté de se moderniser sur les plans technique, politique et militaire. Pourquoi lui est-il si difficile de réaliser une vraie modernisation culturelle, qui est la clé de tout le reste ?
BERNARD LEWIS : Beaucoup d'explications ont été, et sont encore, avancées pour élucider le peu de succès de la modernisation dans ces régions et les performances relativement limitées du monde arabe comparées à celles de l'Occident chrétien. La différence la plus frappante entre les deux, relevée par la quasi-totalité des voyageurs, est la différence de statut des femmes. En 1867, Namik Kemal, comparant le monde musulman et l'Occident, écrivait que le premier était comme « un corps humain paralysé d'un côté ». Parce qu'elle affecte la moitié de la population, et l'éducation de l'autre moitié, cette différence est évidemment de la plus haute importance.
LE POINT : Vous écrivez que, contrairement au christianisme, il n'existe pas dans l'islam de séparation entre le sacré et le profane. Les seules expériences laïques du monde musulman, type Atatürk en Turquie, ont été réalisées contre la religion. L'islam peut-il évoluer sur ce point ?
BERNARD LEWIS : La séparation de l'Eglise et de l'Etat a ses racines dans les Evangiles, mais elle n'a été effective qu'après des siècles de guerres de religion où des chrétiens d'obédiences différentes tentaient d'imposer leur foi et leur autorité ecclésiastique à d'autres chrétiens, par la persécution sur leur territoire ou par les armes à l'extérieur. Les musulmans ont eu et ont encore leurs débats internes, notamment entre sunnites et chiites, mais ceux-ci n'ont jamais, même de loin, approché l'âpreté et la férocité des fanatiques conflits religieux du christianisme. La séparation du spirituel et du temporel a donc été considérée par les musulmans comme un remède chrétien à un mal chrétien qui ne les concernait pas. Certains ont suggéré qu'à l'époque moderne, le monde musulman ayant contracté la maladie des chrétiens, il pourrait songer à s'appliquer leur thérapie.
LE POINT : En Europe, à partir de la Renaissance, l'individu s'est peu à peu libéré des cadres religieux et sociaux qui l'enserraient, et la religion a progressivement été reléguée à la sphère personnelle. L'islam est-il capable de suivre le même chemin ?
BERNARD LEWIS : J'y venais. Les deux endroits les plus intéressants où l'on débat de cette question actuellement sont deux pays musulmans. La Turquie est le seul pays musulman qui ait inscrit la séparation de l'Eglise et de l'Etat dans sa Constitution et qui ait essayé d'instaurer un régime démocratique laïque. Au long des cinquante dernières années, il y a eu quelque assouplissement dans l'application des règles établies concernant l'éducation et la pratique religieuses, mais le principe de base demeure. La politique iranienne est à l'exact opposé et vise au maintien d'un Etat, d'une identité et de lois tous définis par l'islam. En Turquie, les résultats des élections passées ont montré qu'environ 20 % de l'électorat préférerait un Etat religieux. Nous ne savons pas quel pourcentage d'Iraniens souhaiterait vivre dans un Etat laïque, puisque la république islamique interdit l'expression de ce choix. Pendant longtemps, la Turquie a été le seul Etat à avoir, en quelque sorte, privé l'islam de son caractère officiel. On peut maintenant lui ajouter les anciennes républiques soviétiques à population musulmane où ce débat fait rage, et aussi l'Indonésie, où les religions monothéistes, mais non l'islam en particulier, sont religions officielles.
LE POINT : La place de la femme dans la société musulmane explique-t-elle l'inaptitude de l'islam à entrer de plain-pied dans la modernité ?
BERNARD LEWIS : Je l'ai déjà dit, et j'insiste. Cette place des femmes est un élément capital dans la lutte pour la modernité. Les hommes élevés dans le respect de la hiérarchie familiale traditionnelle ne sont pas préparés à vivre dans une société moderne et ouverte.
LE POINT : Le monde musulman actuel recherche un bouc émissaire pour expliquer ses échecs. Pourquoi l'Amérique et Israël ?
BERNARD LEWIS : Oussama ben Laden a maintes fois précisé sa vision de ce combat en appelant ses ennemis des « croisés ». Doit-on rappeler que les croisés n'étaient ni américains ni juifs ? Dans les sociétés fermées d'aujourd'hui, où les gouvernements possèdent ou contrôlent les médias locaux et ont appris à manipuler très adroitement la presse étrangère, les vraies doléances ne sont pas exprimées et l'on a besoin de boucs émissaires. Attaquer l'Amérique et Israël est très commode, d'autant qu'on est certain de susciter ainsi une réaction importante en Europe.
LE POINT : Le phénomène Ben Laden est-il le symptôme de cette incapacité à entrer dans la modernité ?
BERNARD LEWIS : Le phénomène Ben Laden est complexe, mais je ne crois pas qu'il verrait dans cet échec sujet à se plaindre. Sa revendication porte sur les succès et non sur les fiascos de la modernité. Et de ces victoires il rend responsables d'abord les puissances chrétiennes de l'Ouest et, ensuite, ces gouvernants du monde musulman que lui - et beaucoup d'autres avec lui - considèrent comme des marionnettes de l'Occident qui salissent la société musulmane en y introduisant la pourriture et la dégénérescence des moeurs occidentales. La guerre sainte (le djihad), on doit s'en souvenir, peut être légitimement menée contre deux sortes d'ennemis : les infidèles et les apostats. Dans le discours actuel des fondamentalistes islamistes, les apostats sont ces chefs qui portent des noms musulmans et prétendent être fidèles à l'islam, mais qui, néanmoins, détruisent la société musulmane en y important les lois, les habitudes, la morale et les idées de l'Occident.
C'est peu dire que l'intérêt pour l'Islam va croissant et - par nécessité - ne risque pas de fléchir bientôt. L'avalanche actuelle de livres sur la question, mêlant brûlots simplistes et contes de fées fantaisistes, désoriente plus qu'elle n'aide le lecteur souhaitant comprendre ce qui se passe. Pour le prix d'un seul de ces ouvrages, voici une petite bibliothèque de référence sur le sujet: la collection Quarto réédite en un volume l'essentiel de l'œuvre du plus grand islamologue vivant.
Décalage temporel. Aujourd'hui âgé de 80 ans, Bernard Lewis domine une bibliographie impressionnante couvrant la totalité de l'ère musulmane, de la Révélation de Mahomet à l'actualité la plus récente, en passant par la question centrale de l'Empire ottoman. C'est un érudit à l'ancienne, qui a derrière lui des décennies de travaux de première main: maîtrisant, outre l'anglais, le français et l'italien, l'arabe, le persan, le turc et l'hébreu, il a travaillé dès l'avant-guerre dans les archives égyptiennes, syriennes, libanaises et turques. Ses compétences linguistiques lui valurent de ne pas être trop interrompu dans ses recherches durant ses six années de guerre, grâce à une affectation, notamment au Caire, dans la section «Moyen-Orient» des services de renseignement du Foreign Office.
Dans une longue introduction inédite, qui contient un superbe exposé sur le métier d'historien, Bernard Lewis survole sa carrière de chercheur et de professeur, à l'université anglaise d'Oxford puis américaine de Princeton, et commente la succession de ses ouvrages, qui, pour la plupart, restent aujourd'hui essentiels (Les Arabes dans l'Histoire, Le Langage politique de l'Islam, Comment l'Islam regardait l'Occident, Islam et démocratie, L'Islam, l'Occident et la modernité). Ils furent publiés selon une progression chronologique, de l'apogée du rayonnement musulman, au Moyen Age, au déclin de l'Empire ottoman (dont il fut un des premiers à consulter les archives), pour aboutir à la Turquie moderne.
Il profite de cette introduction pour se rendre justice: la fameuse formule du «choc des civilisations», rendue célèbre par l'essai de Samuel Huntington, c'est lui qui l'a énoncée, dès 1957: «Les ressentiments actuels des peuples du Moyen-Orient se comprennent mieux lorsqu'on s'aperçoit qu'ils résultent non pas d'un conflit entre des Etats ou des nations, mais du choc entre deux civilisations.» Cinquante ans plus tard, Bernard Lewis maintient cette formule, qui a fait récemment polémique, en précisant qu'il faut la réintégrer dans le temps long. Il y a, selon lui, entre le monde musulman et le monde occidental, un «conflit entre deux civilisations rivales, qui perdure en dépit de nombreux changements».
Incuriosité de l'Islam. Il ne s'agit pas seulement d'un décalage temporel - comme le veut l'analyse en termes de «retard de développement» - mais d'un blocage propre au monde musulman, qui résulte d'un autre rapport au politique et à la connaissance. Différence fondamentale, qui a son origine dans les récits religieux: «Pendant toute l'histoire de la chrétienté, et dans presque tous les pays chrétiens, il était admis qu'il existait deux pouvoirs, Dieu et César, régissant deux sphères distinctes, l'Eglise et l'Etat, le religieux et le profane. Associés, séparés ou en conflit, ils restèrent toujours deux.» Le monde musulman est au contraire ordonné autour de «l'un», sur le modèle de Mahomet, chef religieux, militaire et politique d'un Etat, tandis que le souvenir de Jésus, homme seul ayant pour unique arme le verbe, a laissé une institution, l'Eglise, en querelle permanente mais féconde avec le monde temporel. D'où, selon Bernard Lewis, la vérité littérale de la formule de l'imam Khomeini «L'Islam est politique ou il n'est rien», qui explique à la fois l'absence de démocratie dans la quasi-totalité des pays musulmans et le sort qu'ils réservent à ses partisans.
Accordant une place secondaire à la question de la violence, Bernard Lewis insiste sur deux facteurs handicapants résultant de cette «clôture sur l'un»: l'incuriosité et la place des femmes. «L'idée qu'il puisse exister des êtres, des activités ou des aspects de l'existence humaine qui échappent à l'emprise de la religion et de la loi divine est étrangère à la pensée musulmane», écrit Bernard Lewis en l'illustrant de nombreux exemples historiques. Il y a toujours eu des «orientalistes» en Occident, mais pas d' «occidentalistes» en Orient: les Etats musulmans n'envoyaient pas d'ambassadeurs auprès des souverains étrangers, les langues et les textes d'Europe n'étaient pas étudiés et les docteurs de la loi se sont opposés pendant trois siècles à l'entrée de l'imprimerie dans l'Empire ottoman.
Une recherche quasi inexistante. Cette incuriosité perdure. Le monde arabo-musulman reste l'endroit du monde où l'on traduit le moins de livres et où la recherche est quasi inexistante: «A l'heure actuelle, de nombreux pays asiatiques participent activement au développement scientifique, lequel n'est plus occidental, mais mondial. Hormis quelques enclaves occidentalisées et une poignée de chercheurs originaires du Moyen-Orient mais travaillant en Occident, la contribution de la région - telle qu'on peut la mesurer, par exemple, au nombre de publications dans des revues internationalement reconnues - fait pâle figure comparée à celle d'autres parties du monde non occidental ou, pis, comparée à son propre passé.»
L'apartheid sexiste constitue pour Bernard Lewis l'autre drame. Les rares émissaires envoyés dans les capitales européennes rapportaient il y a déjà plusieurs siècles leur choc devant les égards masculins pour ces femmes des cours royales non seulement visibles, mais ayant le droit de parler et de circuler. On oublie souvent que, pour l'Islam, la femme est non seulement inférieure à l'homme, mais aussi aux enfants mâles. Rappelant qu'en 1867 le progressiste turc Namik Kemal notait que le monde musulman était comme «un corps humain paralysé d'un côté», Bernard Lewis ajoute: «La relégation des femmes à un statut d'infériorité non seulement prive le monde musulman des talents et des énergies de la moitié de sa population, mais encore confie l'éducation, à un âge crucial, de l'autre moitié à des mères analphabètes et opprimées. Une telle éducation, dit-on, produit des individus arrogants ou soumis, en tout cas inaptes à la vie dans une société libre et ouverte.» Mais il reste optimiste, en rappelant qu'il n'y a pas si longtemps la charia reléguait dans la même sous-humanité les esclaves, les non-musulmans et les femmes: «Abolir l'esclavage relevait quasiment de l'inconcevable. Interdire ce que Dieu permet est un crime presque aussi grand que permettre ce qu'il interdit.» Or, ce que l'Islam a fait avec l'esclavage, il peut le faire avec les femmes.
«C'est le manque de liberté qui est à la base des maux dont souffre le monde musulman», assure Bernard Lewis, mais sans conclure. En 1976, quelques années avant la révolution iranienne, il avait pronostiqué l'actualité de deux voies possibles: le retour à l'origine des textes contre la modernité ou la révolution démocratique sur le modèle turc, qui témoigne, depuis près d'un siècle, que cela est possible mais lent et difficile, sa signification restant problématique: cette démocratie fragile, dépendant encore de l'éthique de son armée, constitue pour nombre de pays musulmans moins un modèle qu'une trahison.
« La crise au Proche-Orient (...) ne surgit pas d’une querelle entre Etats, mais d’un choc des civilisations (1). » Dès 1964, un universitaire britannique, encore peu connu, lance la formule qui devait connaître une si grande fortune. Incontestablement, Bernard Lewis est un précurseur. Installé aux Etats-Unis en 1974, spécialiste de la Turquie, il est aussi un acteur politique et il ne s’en cache pas. Très proche de M. Paul Wolfowitz et des néoconservateurs de l’administration Bush, il est partisan de la politique israélienne comme de la guerre contre l’Irak. « Révélé » au grand public après le 11-Septembre, il a commis deux essais très orientés, sous des dehors « scientifiques » : Que s’est-il passé ? et L’Islam en crise (2), très applaudis. On en a même oublié de rappeler que l’auteur continue de nier le génocide arménien...
Passée inaperçue dans les années 1960, la formule est relancée par lui, vingt-cinq ans plus tard, dans un article, « The roots of muslim rage » (Les racines de la colère musulmane [3]). Il y décrit l’état d’esprit du monde musulman et conclut : « Ceci n’est rien de moins qu’un choc de civilisations, la réaction peut-être irrationnelle mais sûrement historique d’un ancien rival contre notre héritage judéo-chrétien, notre présent séculier et l’expansion mondiale des deux. » « Je pense, précise-t-il en 1995, que la plupart d’entre nous seront d’accord pour dire, et certains l’ont dit, que le choc des civilisations est un aspect important des relations internationales modernes, bien que peu d’entre nous iront jusqu’à dire, comme l’ont fait certains, que les civilisations ont des politiques étrangères et forment des alliances (4). »
La vision d’un « choc des civilisations », opposant d’abord deux entités clairement définies, « Islam » et « Occident » (ou « civilisation judéo-chrétienne ») est au cœur de la pensée de Bernard Lewis, une pensée essentialiste qui réduit les musulmans à une culture figée et éternelle. « Cette haine, insiste-t-il, va au-delà de l’hostilité à certains intérêts ou actions spécifiques ou même à des pays donnés, mais devient un rejet de la civilisation occidentale comme telle, non pas seulement pour ce qu’elle fait mais pour ce qu’elle est et les principes et les valeurs qu’elle pratique et qu’elle professe (5). » Les Iraniens ne se sont pas révoltés contre la dictature du chah imposée par un coup d’Etat fomenté par la CIA en 1953 ; les Palestiniens ne se battent pas contre une interminable occupation ; et si les Arabes haïssent les Etats-Unis, ce n’est pas à cause de l’appui de ces derniers à M. Ariel Sharon ou de leur occupation de l’Irak : en réalité, ce que rejettent les musulmans, ce sont la liberté et la démocratie. Comment comprendre le conflit du Kosovo ou de l’Ethiopie-Erythrée ? Par le refus des musulmans d’être gouvernés par des infidèles, explique Bernard Lewis.
C’est en 1993 que l’Américain Samuel Huntington reprend la formule du « choc des civilisations » dans un célèbre article de Foreign Affairs (6).
Rejeté verbalement en France, le concept s’installe pourtant peu à peu dans les consciences. Quand, en décembre 2003, à Tunis, le président Jacques Chirac parle d’« agression », à propos du foulard, la journaliste Elisabeth Schemla s’en réjouit : « Pour la première fois, Jacques Chirac reconnaît que la France n’est pas épargnée par le choc des civilisations (7). »
« Sans en exagérer l’importance, écrit Emmanuel Brenner dans un pamphlet intitulé France, prends garde de perdre ton âme..., il faut tenir compte d’enjeux culturels qui traduisent des affrontements entre des conceptions du monde différentes sinon antagonistes. (...) Cette dimension culturelle fait défaut à de nombreux observateurs qui omettent de prendre en compte cet arrière-fond historique qui nous parle à notre insu. Un arrière-fond dont la nature longtemps conflictuelle affleure dans les retours identitaires d’aujourd’hui. Il n’est que d’évoquer les croisades et l’affrontement entre les deux rives de la Méditerranée, il n’est que d’évoquer l’avancée de l’islam dans le sud-est de l’Europe jusqu’aux portes de Vienne au XVIIe siècle, il n’est que d’évoquer aussi le temps du Turc redouté et abhorré, puis le temps de la colonisation et son cortège de violences, celui de la décolonisation, enfin, qui fut souvent sanglante. Cette confrontation, ancienne et récurrente, a sédimenté dans les consciences des peuples (8). » Et c’est pour cela, conclut-il, que nombre de jeunes Beurs français sont « culturellement » antisémites... De Mahomet au siège de Vienne par les Ottomans, de la décolonisation à l’islamisme, de l’islamisme à Al-Qaida, du foulard à l’antisémitisme des Beurs, la boucle est bouclée, l’histoire se répète. Sus aux Sarrasins !
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(1) Bernard Lewis, The Middle East and the West, Indiana University Press, Bloomington, 1964, p. 135.
(2) Bernard Lewis, Que s’est-il passé ? L’Islam, l’Occident et la modernité, Gallimard, Paris, 2002, et L’Islam en crise, Gallimard,2003.
(3) Bernard Lewis, « The roots of muslim rage. Why so many muslims deeply resent the West, and why their bitterness will not easily be mollified », The Atlantic Monthly, Boston, septembre1990. Lire cet article sur le site Policy.
(4) Bernard Lewis, « “I’m right, you’re wrong, go to hell.” Religions and the meeting of civilization », The Atlantic Monthly, mai 2003.
(5) Lewis, « The roots... », op. cit.
(6) Samuel Huntington, « The Clash of Civilizations », Foreign Affairs, vol. 72, n° 3, 1993.
(7) Pour la première fois..., 10 décembre 2003, Proche-Orient.info
(8) Emmanuel Brenner, France, prends garde de perdre ton âme..., Editions Mille et une nuits, 2004, p. 106.
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