par John Kiser
(traduit de l'américain par Henry Quinson )
Cet article, paru en anglais en 2003 dans le volume
38.3 de Cistercian Studies Quaterly,
s'inspire d'une conférence donnée par
l'auteur en janvier 2003 à l'Alliance Française,
à Washington DC,
devant un auditoire d'Algériens,
d'Européens et de représentants des services de
renseignements des Etats-Unis.
Ce texte peut être
téléchargé en format PDF ici.
Présentation
L’enlèvement et l’assassinat, il y a tout juste dix ans,
de sept moines trappistes à Tibhirine, en Algérie,
marquèrent profondément les esprits de part et d’autre
de la Méditerranée. Dans le contexte actuel de lutte
contre le terrorisme international, la traduction du livre de John
Kiser, Passion pour l'Algérie, les moines de Tibhirine (Nouvelle Cité, mars 2006) apporte un éclairage
original sur une question essentielle : comment les religions
peuvent-elles être à la fois la source de tant de bien
et de tant de mal dans le monde ? L’auteur trouve des réponses
éclairantes en observant ce qui s’est vécu au village
de Tibhirine, et en réactualisant les réflexions de
saint Benoît sur les dangers du « zèle amer »
qui peut animer la vie des croyants, quelle que soit leur
confession.
En effet, les attitudes religieuses peuvent être à
l’origine de terribles conflits lorsqu’elles sont alimentées
par la colère et la haine et qu’elles aboutissent à
exclure autrui. Mais l’histoire des moines de Tibhirine montre
qu’elles peuvent aussi être une source de réconciliation
et d’apaisement quand elles procèdent d’un esprit d’amour
fraternel au service d’un Dieu qui ne pratique pas l’anathème.
Dans cette histoire d’amitié et de sacrifice,
d’enlèvement et de sauvagerie, la vie monastique des
frères de Tibhirine apparaît comme un trait d’union
entre les mondes musulman et chrétien, et permet de
découvrir différents visages de l’islam. En
dépit de ses vicissitudes, cette religion devrait être
considérée par l’Occident dans sa complexité et
sa variété, en cherchant les éléments qui
la rapprochent du judaïsme et du christianisme. Le monde
musulman est en mutation, comme on peut le constater en
Algérie. Encore faut-il le comprendre pour faciliter ces
évolutions.
Le retour du « religieux »
Il existe un modèle utilisé par les stratèges
des ministères de la Défense et des Affaires
étrangères pour anticiper les mouvements sur
l’échiquier diplomatique et militaire. On l’appelle le
modèle des « décisions rationnelles »,
où seuls comptent les intérêts nationaux et les
rapports de force politiques pour expliquer les comportements
internationaux. La religion n’y joue aucun rôle. Il y a fort
à parier que c’est là une part de l’héritage que
nous ont légué les philosophes du siècle des
Lumières, pour la plupart des Français, pour qui la
religion appartenait à une époque
préscientifique de superstitions, de fantômes et de
forces irrationnelles incontrôlables. A l’horizon de
l’Histoire, soutenaient certains de ces intellectuels
éclairés, la combinaison de la science, de la
technologie et de la raison humaine suffirait à promouvoir le
progrès humain. La religion perdrait toute raison
d’être, ou, comme l’annonçaient les marxistes, mourrait
de sa belle mort.
Or, de toute évidence, la religion n’a pas disparu, et il
est probable qu’elle subsiste tant que les êtres humains
aspireront à découvrir un sens plus profond à
leur existence et ne se contenteront pas de la course aux plaisirs ou
de la fuite devant la souffrance, tant qu’ils voudront des
réponses qui vont au-delà de la physique
moléculaire, et aussi longtemps que notre raison humaine
perfectible n’aura pas apporté toutes les réponses
à la question du mystère de la vie et à
l’inconnu de la mort.
Il est curieux, assurément, de constater que les
Etats-Unis, supposés être l’archétype de la
société moderne
sientifique-technologique-matérialiste, et maintenant
porte-drapeau de la lutte contre le fanatisme religieux et politique
dans le monde musulman, sont eux-mêmes un foyer de fermentation
et de réveil religieux, en particulier parmi les sectes
protestantes évangéliques. Et, comme dans beaucoup de
pays musulmans, la classe politique américaine doit
répondre aux critiques, sur le terrain des valeurs morales,
d’une minorité chrétienne blessée mais
politiquement très active : critiques d’une culture
perçue comme centrée sur soi, violente, aux mœurs
relâchées, matérialiste, destructrice de la
cellule familiale, irrespectueuse du caractère sacré de
la vie, et anti-chrétienne. Si quelqu’un en doute ou veut
avoir une idée de ce christianisme politique, il lui suffira
d’écouter des radios chrétiennes aux Etats-Unis. Leur
message est à la fois stimulant et irritant. Point n’est
besoin d’avoir bénéficié d’un second « baptême dans l’Esprit » pour admettre le
bien-fondé de la plupart de leurs reproches ; c’est le ton
employé qui peut agacer. On a l’impression que les
chrétiens sont les seuls à posséder toutes les
réponses à toutes les questions.
Aussi vais-je me risquer, malgré tout, à parler de
religion. Tout d’abord parce que le livre que j’ai écrit
s’intéresse à des musulmans et à des
chrétiens qui se définissent par leur foi, une foi pour
laquelle ils sont prêts à mourir. Ensuite, parce que je
ne crois pas que les Etats-Unis, ni aucun autre pays au monde, ne
puisse prendre position dans les conflits qui agitent le monde
musulman sans une profonde compréhension, et une sorte
d’empathie, pour le rôle considérable que joue la foi
dans la vie de tous les musulmans. L’islam est leur drapeau, leur
maison et la source de leurs valeurs morales et sociales.
Dieu « inclusif » et Dieu « exclusif »
L’un des grands paradoxes des religions, c’est leur immense
pouvoir de faire le bien tout autant que le mal, au nom de ce pauvre
« Dieu ». L’une des raisons qui m’a poussé
à écrire ce livre sur les moines de Tibhirine
était mon désir d’entrer dans le monde de ces hommes
qui avaient gagné mon admiration par la manière dont
ils avaient vécu leur foi chrétienne en exprimant un
amour fraternel véritablement universel et inconditionnel.
J’ai pensé que leur histoire pourrait aussi fournir une
fenêtre par laquelle on découvrirait les diverses formes
de l’islam en Algérie et, par extension, dans le monde.
Si l’on peut établir une sorte de cadre pour la discussion,
je voudrais avancer une division du monde que je crois plus
importante, pour le long terme, que l’opposition, à la mode et
trompeuse, du monde occidental et de l’islam. C’est la division entre
ceux qui croient que le but de la vie est de se préparer
à l’au-delà et ceux qui croient que l’idée d’une
existence après la mort est ridicule. George Orwell ne
considérait-il pas que la plus grande calamité du XXe
siècle avait été la perte de la foi en
l’immortalité de l’âme ? Il y a évidemment un
troisième groupe : ceux qui ne sont pas sûrs, mais qui
croient prudent de faire comme s’il y avait un monde invisible
à venir.
Parmi ceux qui croient ou ne croient pas, je propose une autre
division qui joue un rôle capital dans les questions de guerre
et de paix. La division entre ceux qui croient au « Dieu
inclusif » et ceux qui croient au « Dieu exclusif ». Cette distinction est devenue officielle quand le Pape
Jean XXIII a conduit l’Eglise catholique, au cours des discussions de
Vatican II, à redécouvrir cette vérité
évangélique : le Royaume de Dieu est plus grand que
l’Eglise. Une telle pensée est toujours
considérée comme une hérésie par les
catholiques traditionalistes et de nombreuses confessions
protestantes. Avec Vatican II, l’Eglise catholique a accepté
que Dieu puisse être aimé de diverses manières et
que le salut soit, en dernière analyse, un mystère.
« Dieu est plus grand que l’Eglise. » Les
musulmans affirment simplement que « Dieu est plus grand. » Plus grand que quoi ? Quelle que soit notre définition
de Dieu, il est plus grand, parce que nous sommes ses
créatures, limitées et finies, et que Dieu est à
tous égards infini. Sans être moi-même catholique,
je fais mienne la vision du monde de Vatican Il. Je fais mienne
également la vision du monde musulmane exprimée par
l’Emir Abdelkader, le « George Washington » de
l’Algérie, à la fois combattant de la guerre sainte,
poète mystique de tradition soufie et homme d’Etat, qui causa
bien des tourments aux Français pendant quinze ans, alors que
ceux-ci se demandaient s’ils allaient coloniser l’Algérie et
comment ils allaient procéder. C’est une vision du monde
souvent citée, avec approbation, par des catholiques
d’Algérie qui sont familiers des écrits spirituels
d’Abdelkader.
Son message est important, car il est toujours objet de
vénération dans la majeure partie du monde arabe. Je
crois (ce n’est qu’une impression et non le résultat d’un
sondage scientifique), que son ouverture d’esprit correspond à
celle de la majorité des musulmans d’aujourd’hui, même
si, en son temps, il a férocement combattu des
chrétiens. Comme beaucoup de musulmans, il n’avait, en fait,
rien à reprocher au christianisme, mais plutôt aux
chrétiens qui ne vivaient pas leur foi en
vérité. Vers la fin, Abdelkader devint une figure
mondialement respectée, à cause de sa pratique d’un
islam qui le conduisit à sauver la vie de 8 000 à 10
000 chrétiens qui allaient être massacrés
à Damas par d’autres musulmans, en un temps où il
vivait, lui, en exil. Dans ses Ecrits spirituels, Abdelkader
note :
« Si tu penses que [Dieu] est ce que croient les diverses
communautés – musulmans, chrétiens, juifs,
mazdéens, polythéistes et autres –, Il est cela et il
est autre que cela ! Et si tu penses et crois ce que professent les
Connaisseurs par excellence – prophètes, saints et anges –, Il
est cela et il est autre que cela ! Aucune de Ses créatures ne
l’adore sous tous Ses aspects ; aucune ne Lui est infidèle
sous tous Ses aspects. Nul ne le connaît sous tous Ses aspects
; nul ne l’ignore sous tous Ses aspects. […] Chacune de Ses
créatures L’adore et Le connaît sous un certain rapport
et L’ignore sous un autre. […] Dès lors, l’erreur n’existe pas
en ce monde, si ce n’est de manière relative. »[1]
Contre ceux qui croient que « Dieu est plus grand »[2], il y a ceux qui croient que « Dieu est
plus petit », à savoir ceux qui pratiquent
l’exclusion comme avant Vatican II ; ils existent dans toutes les
confessions se réclamant d’Abraham. La maison de leur Dieu est
petite ; elle n’a qu’une porte et qu’une clé. Leur conception
de la vérité est trop étriquée pour que
d’autres puissent en posséder une part, exprimée
différemment. Le Cheikh al-‘Alawî, un soufi du XXe
siècle, maître et fondateur de la confrérie
alawîe de Mostaganem, en Algérie, répondit
à ses critiques musulmans en des termes qui pourraient
s’appliquer à tous ceux qui croient que « Dieu est
plus petit », toutes confessions confondues. En substance,
il affirmait que l’islam, qui ne possède pas de sacerdoce, est
constitué d’un grand nombre de personnes très
limitées qui s’imaginent que toute la religion est à
leur portée et que tout ce qui dépasse leur faible
compréhension se situe au-delà des frontières de
l’islam.
Les moines de Tibhirine est, entre autres choses, l’histoire de
cette lutte entre le « Dieu inclusif » et le « Dieu exclusif », tant du côté des
chrétiens que du côté des musulmans. C’est aussi
une réflexion sur ce qu’est une communauté et comment
elle peut se définir pour arriver à conserver son
identité particulière tout en restant ouverte au
changement et au progrès. Les moines de Tibhirine ont
relevé ce défi, et les musulmans s’y emploient
aujourd’hui. L’affaire de l’enlèvement et du meurtre des
moines est loin d’être classée, car certaines questions
demeurent sans réponse à ce jour. Mais, si l’histoire
proprement dite se termine mal, elle est pour moi, en
définitive, pleine d’espérance pour l’avenir des
relations entre chrétiens et musulmans. Les réflexions
qui vont suivre voudraient expliquer les raisons de cet optimisme.
Le Cardinal Duval et la guerre d’Algérie
Que faisaient des moines trappistes en Algérie, me
direz-vous, plusieurs décennies après
l’indépendance, alors que la communauté
chrétienne dans ce pays musulman avait subi une terrible
hémorragie ? L’explication vient principalement de l’un de ces
croyants en un « Dieu plus grand »,
l’évêque français Mgr Léon-Etienne Duval,
qui fut nommé au diocèse d’Alger en 1954. Sous son
autorité, l’Eglise d’Algérie pratiqua un christianisme
authentiquement universel, qui la caractérise encore
aujourd’hui. Ceci eut pour effet de créer un lien de respect
mutuel, depuis 1962, qui vaut pour l’immense majorité des
Algériens, y compris beaucoup de terroristes eux-mêmes.
Mgr Duval fut une grande figure morale pendant ces sept
années de guerre que l’on se bornait alors à appeler,
en France, les « événements »
d’Algérie. En insistant sur le devoir des chrétiens de
respecter tous les enfants de Dieu, il fut confronté à
des dissensions dans l’Eglise. Les chrétiens nationalistes,
favorables au maintien de « l’Algérie
française » pensaient que leur devoir religieux
suprême était de servir la France et qu’en servant la
France ils servaient la cause de la civilisation chrétienne,
de la modernité, des Lumières, des valeurs
menacées par les forces des ténèbres
représentées par le double péril du communisme
athée et de l’islam barbare. Ceux qui suivirent les
exhortations de Mgr Duval pensaient que leur allégeance
suprême n’allait pas à la France mais au message de
l’Evangile. Mgr Duval n’était pas un diviseur mais un artisan
d’unité.
L’ordination épiscopale de Mgr Duval en la
cathédrale Saint-Philippe, en février 1954, faisait de
lui le responsable suprême de la communauté
chrétienne de l’Algérie française. Son
homélie suscita de fortes réactions chez ceux qui
attendaient de lui un soutien moral à leurs positions
politiques. Ce sermon constituait un avertissement :
« Les musulmans et les juifs savent que notre
christianisme réclame de nous que nous les aimions, eux aussi.
Aimer Dieu veut dire aimer tous ses enfants comme des frères.
Les musulmans et les juifs savent que lorsque nous n’obéissons
pas à ce commandement, nous trahissons notre idéal de
chrétiens. […] Un évêque catholique se doit
à tous. Sinon, il serait le chef d’une secte. »[3]
Mgr Duval fut dénigré par nombre de pieds-noirs et
par les tenants de l’Algérie française, pour qui « l’amour fraternel » et « la justice pour tous » étaient absents de leur catéchisme s’il
s’agissait d’Arabes ou de musulmans. Ses ennemis l’appelèrent
« Mohammed Duval ». Les portes de ses églises
furent barbouillées d’excréments et sa vie
menacée. Mais une bonne partie du clergé resta
solidaire, ainsi que les moines de Tibhirine, qui vivaient au cœur
d’une région très sensible, au sud d’Alger.
Un monastère en terre d’islam
Contrairement aux fermiers français des environs, les
récoltes des moines n’étaient jamais
brûlées par les « fellaghas ». Lorsque
l’armée française bombarda au napalm les villages des
montagnes alentour, les moines prirent chez eux plusieurs des
familles en fuite et leur fournirent un refuge dans des
bâtiments inutilisés. Plus tard, ils embauchèrent
certains de ces hommes pour travailler dans leurs champs. Peu
à peu un village se forma autour du monastère, qui prit
le nom de Tibhirine.
Les moines habitaient dans la région de Médéa
depuis 1938 et faisaient partie d’un Ordre dont la présence en
Algérie remontait à 1847. Contrairement à
l’Eglise d’Algérie d’après 1962, toutes les
congrégations religieuses qui s’implantèrent en
Algérie au cours du XIXe siècle le firent
dans le cadre d’une stratégie politique
réfléchie. Les autochtones avaient été
déconcertés par l’athéisme des envahisseurs
français : ces soldats ne priaient jamais. Où
étaient leurs responsables religieux et leurs lieux de culte,
se demandaient-ils ? Quelle sorte de barbares ingrats étaient
ces gens qui ne reconnaissaient pas leur Créateur ? Faire
venir des moines en Algérie avait donc pour objectif principal
de gagner le respect des Arabes. Ainsi, le premier monastère
trappiste fut-il construit dans la plaine de Staouëli, en dehors
d’Alger, là même où les Français avaient
gagné leur première victoire sur les Turcs en 1830. Des
boulets de canon furent symboliquement placés sous les
fondations. L’arrivée des moines faisait partie d’une
entreprise française de domination de sa nouvelle colonie,
fondée sur l’alliance « du sabre, de la charrue et de
la croix ». Le sabre devait assurer la soumission et
l’autorité, la charrue la culture du sol et l’enracinement, et
la croix le souffle spirituel et la civilisation.
Malgré toutes les bonnes œuvres réalisées par
l’Eglise – nourriture pour les pauvres pendant les famines,
orphelinats, dispensaires, et écoles avant et après
l’indépendance – la croix demeure un mauvais souvenir
associé au mépris du peuple arabe et de sa langue.
L’institution ecclésiale a laissé un goût
doux-amer. Pour les plus jeunes et les plus radicaux, qui n’ont
jamais eu de relations personnelles avec un prêtre ou des
chrétiens, les symboles religieux comme la croix ou une
église peuvent passer pour de la provocation. Pour certains,
ils sont un rappel du triomphalisme arrogant et blessant du
passé, comme la statue du Cardinal Lavigerie à Alger,
dont l’avant-bras droit, qui tenait victorieusement une croix, fut
scié après l’indépendance.
Après l’étrange assassinat de son
évêque auxiliaire en 1976, Mgr Duval demanda aux
prêtres de son diocèse de ne plus porter d’habits
religieux ou de croix ostensibles. Les églises à Alger
cessèrent de sonner leurs cloches. Cependant, une
communauté ignora cette recommandation : le monastère
Notre-Dame de l’Atlas, à Tibhirine.
Les moines sonnèrent leurs cloches avec l’habituelle
régularité de l’office divin, sept fois par jour, de
quatre heures du matin à huit heures du soir. Personne dans la
région ultraconservatrice de Médéa n’y trouva
à redire ni ne se plaignit des frères qui faisaient le
marché en habit. Les moines étaient de saints
Pères qui vivaient comme de bons musulmans.
A vrai dire, l’affinité entre musulmans et moines
chrétiens semblait naturelle. Un Algérien dans sa
longue robe à capuchon, appelée ’abâya, ne
se distinguait pratiquement pas d’un moine dans sa coule blanche de
prière. Le moine et le musulman communiaient tous les deux
dans la régularité formelle et communautaire de la
prière. Comme les autochtones, le cénobite cistercien
n’existait qu’en qualité de membre d’une famille
élargie ; seul, il n’était rien. Ses frères
avaient survécu collectivement pendant mille quatre cents ans
grâce à la solidarité du monastère, de
l’Ordre et de l’Eglise. L’architecture du cloître traduisait
l’intériorisation de l’espace. Comme le voile et le gourbi
algérien, cette maison en briques de paille
séchée centrée sur sa cour intérieure, le
monastère trappiste présentait au monde une
façade protectrice qui préservait le secret des cœurs.
Ces deux univers séparaient hommes et femmes pour la
prière et les activités quotidiennes (avant Vatican II,
les femmes ne pouvaient pas accompagner leurs maris à
l’hôtellerie). Enfin, le musulman traditionnel, fût-il
berbère ou arabe, attachait, comme saint Benoît, une
extraordinaire importance à la vertu d’hospitalité. A
vrai dire, c’était plus qu’une vertu : l’accueil était
un devoir sacré.
Christian de Chergé, homme de communion
Je voudrais dire quelques mots de l’histoire elle-même, et
de son principal protagoniste, Christian de Chergé. Ce
troisième fils d’une famille de tradition militaire eut pour
vocation particulière de rejoindre au plus profond les
musulmans et de cheminer avec eux vers la connaissance de Dieu.
Elevé par une mère très croyante, il exprima,
dès son plus jeune âge, le désir de devenir
prêtre. D’un noble caractère, doué pour le
contact, d’un esprit vif, il se distingua par une scolarité
brillante. Séminariste à Paris, ses études
furent interrompues en 1959 par son service militaire en
Algérie.
Là-bas, sa vocation religieuse fut marquée par un
événement décisif : un garde-champêtre
musulman, Mohammed, lui sauva la vie. Christian avait
été envoyé dans une zone de pacification rurale
où sa mission consistait à entretenir de bonnes
relations avec les notables locaux dont les communautés se
trouvaient sous protection française, et de faire en sorte
qu’ils se « sentent français ». Cet
Algérien plus âgé s’interposa un jour pour
convaincre les fellaghas de ne pas tuer son ami
français, avec qui il se promenait dans la nature, où
ils parlaient souvent de Dieu. Les terroristes
épargnèrent l’officier français. Le lendemain,
Mohammed, père de douze enfants, fut trouvé près
de sa maison, égorgé. Pour Christian, le geste du
garde-champêtre était un acte d’amour gratuit, un signe
que l’Esprit de Jésus Christ habite tout homme.
Il y eut ensuite le drame de Christian qui voulait devenir un
moine trappiste en Algérie, le choc et la consternation que
cette décision produisit dans sa famille et chez ses amis, et
les difficultés de son intégration dans une
communauté de moines plus âgés qui ne
partageaient pas au même degré l’esprit d’ouverture de
Vatican II auquel il adhérait. Ses nouveaux Frères
étaient aussi intimidés par sa formation
intellectuelle, son intelligence, son enthousiasme pour tout ce qui
était arabe, et ils se demandaient avec inquiétude
jusqu’où cette passion pour l’islam les entraînerait.
Pourtant, Christian finit par gagner la confiance de
supérieurs qui croyaient en la sagesse de son discernement. En
1984, il fut élu prieur (responsable) de sa petite
communauté de onze Frères, puis réélu en
1990.
Christian était doté d’une personnalité
singulière. C’était un intellectuel qui pensait que la
vertu de l’exemple était indispensable avant de pouvoir
risquer une parole. Il estimait que les joutes intellectuelles
étaient sources de divisions. Une poignée de main, un
verre d’eau ou un morceau de pain partagés, disait-il,
étaient plus efficaces qu’une somme théologique pour
rapprocher les gens. Il jugeait sur pièce : il ne se
prononçait que sur des actes particuliers, pas sur des peuples
ou des gouvernements tout entiers. Il n’émettait jamais de
critiques générales. C’était seulement tel acte
qui était inutile ou telle décision qui n’était
pas bonne. Il croyait que les hommes pouvaient évoluer si on
les plaçait dans un environnement favorable. C’était un
optimiste, et, pour certains, un naïf. Il cherchait toujours
à voir le bon côté des gens et des
événements, et se refusait à glorifier le mal en
lui accordant plus d’attention qu’il n’en mérite.
Sa conviction profonde de croyant était que l’image de Dieu
se trouve en toutes ses créatures et que toutes les
étiquettes sont déshumanisantes. Comme un
médecin qui prête le serment d’Hippocrate, il savait que
les chrétiens avaient l’obligation d’ouvrir leur cœur à
l’amour de tout homme, surtout les moins aimables. Ainsi, les
combattants engagés dans le conflit qui faisait rage autour
d’eux demeuraient des frères. Le Christ n’avait-il pas dit
à ses disciples qu’aimer seulement ceux qui vous aiment n’a
rien d’extraordinaire ? Même les publicains honnis le
faisaient[4]. Christian appela donc les militaires les
« frères de la plaine » et les terroristes
les « frères de la montagne ». C’était
un homme de prière qui demandait à Dieu de
désarmer les autres, mais aussi de le délivrer
lui-même de ces pulsions de violence et de racisme qui nous
habitent tous. Ce ne sont pas seulement les armes qui tuent, mais
aussi les paroles et les attitudes. Christian pensait que la religion
était, au mieux, inutile si elle n’aidait pas les hommes
à vivre ensemble.
La montée de la violence en Algérie
L’enlèvement de sept moines en mars 1996 fut le point
culminant d’une histoire parallèle, celle de la montée
en puissance du GIA (Groupe islamique armé), l’opposition
armée la plus médiatisée et assoiffée de
sang. L’histoire se déroule dans le contexte de la politique
algérienne post-coloniale et commence avec l’émeute
sanglante d’octobre 1988, qui conduisit à l’adoption d’une
nouvelle constitution en 1989 et à la tenue des
premières élections multipartites depuis
l’indépendance. Le résultat des municipales de 1990 fut
une victoire écrasante du parti islamiste, le FIS (Front
islamique du salut) et laissa la nomenklatura du FLN (Front de
libération nationale) en état de choc. Un an plus tard,
des élections législatives devaient se tenir en
décembre 1991. Après le premier tour, lorsqu’il
s’avéra que le FIS, qui avait déjà gagné
une majorité relative, obtiendrait une majorité absolue
au second tour prévu pour le 11 janvier, le scrutin fut
annulé sans autre forme de procès. Le Président
Chadli démissionna, et Mohammed Boudiaf fut tiré de son
exil pour devenir président d’un Haut comité d’Etat
intérimaire.
En octobre 1993, un an après le déclenchement des
hostilités contre le pouvoir, le GIA annonça que les
étrangers avaient un mois pour quitter l’Algérie, sinon
ils seraient responsables de leur propre mort. Les moines, comme tous
les autres étrangers et les communautés religieuses,
devaient décider de partir ou de rester. Le gouvernement
français conseilla à tous ses ressortissants de quitter
l’Algérie, mais les évêques laissèrent
toujours les religieux décider eux-mêmes.
Insécurité partagée
L’histoire de Christian, l’islamophile, les tensions que sa
vocation spirituelle généra dans sa famille et parmi
ses frères moines qui n’étaient pas sensibles à
son appel particulier, aboutirent à une forme d’acceptation
mutuelle et de confiance. Au combat personnel de Christian
succéda l’histoire des moines qui choisirent de partager
l’insécurité de leurs voisins musulmans avec qui ils
avaient développé un lien de dépendance et
d’amitié.
La terreur devint tangible à la mi-décembre 1993
quand douze ouvriers croates, qui travaillaient sur un chantier
hydroélectrique à quelques kilomètres de l’autre
côté de la vallée que dominait le
monastère furent égorgés par un groupe
dirigé par l’émir local du GIA, Sayah Attia. Les moines
eux-mêmes connurent l’angoisse quelques semaines plus tard,
à la veille de Noël, quand six membres du même
groupe terroriste firent irruption dans le monastère
après les vêpres. Ils formulèrent trois exigences
: ils voulaient de l’argent, des médicaments, et que
Frère Luc vienne avec eux pour soigner leurs blessés
dans la montagne.
Christian refusa calmement mais fermement. Il savait être
ferme sans être agressif. La confrontation se termina par des
excuses de Sayah Attia quand il réalisa qu’il avait
dérangé les moines la veille de la
célébration de la naissance du « Prince de la
Paix ». Quand Sayah Attia quitta le monastère cette
nuit-là, il précisa qu’il enverrait sous peu un
émissaire pour réitérer ses exigences. Bien que
l’envoyé promis ne se présentât jamais, les
moines vécurent dans un climat d’inquiétude permanente.
La suite de cette terrifiante visite du « Père
Noël » – surnom donné à Sayah Attia par
l’un des moines – permet de mesurer comment la communauté en
vint à ne faire « qu’un seul corps en Jésus Christ
». A cet extraordinaire sens de la solidarité entre les
frères s’ajouta un sens profond de constituer, avec les
villageois, une famille élargie. Comme l’expliqua l’un des
moines, ils développèrent une sorte d’amour « maternel »[5] envers les gens du village, qui
voulaient qu’ils restent avec eux. Si les moines s’en allaient,
pensaient-ils, il n’y aurait plus aucun espoir pour l’avenir. Tous
les six mois, après l’incident, les moines votèrent
pour renouveler leur décision de demeurer à Tibhirine.
Les moines choisirent donc de vivre à l’ombre de la mort
pendant près de trois ans, avec de fréquents et
sinistres comptes-rendus faisant état de têtes
retrouvées sur les bancs du marché de
Médéa ou de mains de femme découvertes dans la
rue, sans compter les assassinats, dans d’autres villes, incluant des
Frères maristes, des Pères blancs et des Sœurs
augustiniennes. Durant toute cette période, le village de
Tibhirine fut épargné par la violence. Ni les
villageois ni les moines ne furent touchés pendant deux ans et
demi après la visite de Noël 1993. On rapporta que Sayah
Attia avait donné aux moines son amân, ou « protection ». Les gens de la région et certains
des moines étaient convaincus que leur sécurité
venait du fait qu’ils vivaient à l’ombre de Lalla Maryam, la
Vierge Marie, dont la statue dominait la montagne qui surplombait le
monastère. Pour les musulmans, elle est la sainte
Vierge-Mère, secours de toutes les mères, qui, par une
naissance miraculeuse, donna au monde un envoyé de Dieu pur de
tout péché.
Les moines et l’islam
Je voudrais maintenant expliquer pourquoi les moines sont
importants, surtout les moines de la tradition
cistercienne-trappiste, avec leur stricte observance de la
Règle de saint Benoît. A mon avis, ils sont importants
pour deux raisons. Tout d’abord, à une époque
où, qu’on le veuille ou non, le « village
planétaire » annoncé par Marshall McLuhan est,
de fait, devenu réalité, les moines ont quelque chose
à dire à tout le monde au sujet de l’art de vivre
ensemble en communauté. Ensuite, ils sont une fenêtre
occidentale ouverte sur l’âme musulmane.
Concernant l’art de vivre ensemble, le monastère trappiste
est une sorte de microcosme. Il est, à lui seul, l’univers des
moines. C’est un endroit où des gens différents ont
choisi de vivre pour toujours dans une communauté
spécifique. Ils luttent tous les jours pour vivre en paix et
en harmonie les uns avec les autres, au rythme de la prière et
du travail manuel : ora et labora. Les frères – ou les
sœurs – font vœu de stabilité. Cela signifie qu’ils se lient
à un monastère particulier pour la vie. Ils viennent de
toutes sortes de milieux sociaux et professionnels, ont des niveaux
d’éducation intellectuelle différents, et peuvent
être d’ethnies et de nationalités diverses. La seule
exigence est la sincérité de la démarche et la
maturité spirituelle. Ils partagent un désir d’aimer
Dieu dans le cadre d’une communauté stable de frères ou
de sœurs.
Les moines savent où se trouve « l’axe du mal »[6] : il traverse chacun d’entre nous. Comme
nous le rappelle l’évangéliste Jean, personne ne peut
dire qu’il aime Dieu s’il déteste son prochain[7].
Le Coran dit également : « En vérité,
Allah ne modifie point l’état d’un peuple, tant que les
[individus qui le composent] ne modifient pas ce qui est en
eux-mêmes. »[8]
Les moines et les musulmans sont des frères naturels. Le
Coran déclare : « Et tu trouveras certes que les plus
disposés à aimer les croyants sont ceux qui disent :
‘Nous sommes chrétiens’. C’est qu’il y a parmi eux des
prêtres et des moines, et qu’ils ne s’enflent pas
d’orgueil. »[9] Le monde des moines et des
musulmans est tourné vers Dieu, insiste sur la vie en commun,
attache de l’importance à la maîtrise de soi, à
travers l’obéissance, l’humilité et l’aumône. Les
cinq piliers de l’islam sont pratiqués, à leur
façon, par les moines : ils aiment le Dieu unique, se
rassemblent régulièrement pour la prière,
jeûnent durant le carême, pratiquent le partage et
l’hospitalité et, ce faisant, participent, à leur
manière, à une spiritualité du
pèlerinage. On retrouve là des observances proches de
la chahâda, de la salât, du ramadân, de la zakât et du hadj.
L’islam et l’Occident
Si le christianisme est considéré comme faisant
partie de la culture occidentale, et c’est assurément le cas
même si certains fanatiques voudraient qu’il en soit autrement,
et si le monachisme du désert tient une place centrale dans la
tradition chrétienne, il me semble alors que l’on peut
regarder l’islam comme ayant un lien de parenté avec
l’Occident. En effet, l’islam emprunte une partie de sa morale et de
sa théologie au judaïsme, lui-même père du
christianisme.
Ces trois traditions, originaires du Moyen-Orient, revendiquent un
ancêtre commun, Abraham[10], que le Coran
considère comme le premier musulman. De fait, dans la
tradition de l’islam « inclusif » – l’islam
d’Abdelkader – les chrétiens, les juifs et tous les croyants
qui cherchent à faire la volonté du Créateur
sont musulmans. Un musulman est quelqu’un qui se soumet. C’est la
raison pour laquelle Christian de Chergé, devant ses
frères abbés au chapitre général de
l’Ordre cistercien à Poyo, en Espagne, put déclarer, de
manière provocante, que le Christ était le seul
« musulman parfait ». Pourquoi ? Parce que
Jésus était sans péché et fut
envoyé dans le monde pour faire la volonté de son
Père. Il donna à ses disciples le Notre Père :
« Que ta volonté soit faite, sur la terre comme au
ciel ! » Cette prière est tout à fait
musulmane dans son intention. C’est ce que les musulmans veulent :
que la volonté de Dieu soit faite sur la terre comme au ciel,
car ce n’est qu’en suivant les commandements de Dieu que les hommes
peuvent bâtir une société juste et harmonieuse.
Les chrétiens ont toujours pensé ainsi[11].
L’islam et le christianisme se distinguent donc, l’un et l’autre, des
traditions de pensée occidentales utilitaristes et
individualistes, qui font l’apologie du « laissez faire » et de « l’appât du gain » à la
suite d’Adam Smith ou de Jeremy Bentham.
J’irais encore plus loin dans mon raisonnement en suggérant
que le meilleur de la tradition occidentale est vraiment une
éthique orientale, qui vient du judaïsme et du
christianisme. Le caractère sacré de chaque vie humaine
réside dans la conviction que nous sommes tous
créés à l’image de Dieu[12]. Nos
obligations morales les plus fondamentales, qui sont de secourir les
pauvres, les orphelins et les veuves – c’est-à-dire ceux qui
sont faibles ou éprouvés, sont des préceptes
communs aux trois religions se réclamant d’Abraham, nés
dans les déserts du Moyen-Orient et fondements de notre
civilisation occidentale dans ce qu’elle a de meilleure.
Saint Benoît et le fanatisme religieux
Les moines et les musulmans pratiquants continuent de prendre le
service de Dieu au sérieux, même s’ils sont toujours
imparfaits et que le résultat obtenu est parfois
contradictoire. C’est là que saint Benoît se
révèle un maître de sagesse toujours
d’actualité, car il décrit les causes des comportements
irréligieux chez ceux qui se veulent religieux. Le chapitre
premier et le chapitre soixante-douzième de sa Règle
sont particulièrement précieux pour comprendre la
violence religieuse aujourd’hui. Dans chacun de ces chapitres,
Benoît explique pourquoi certains moines quittent le droit
chemin.
Au chapitre premier, il parle des anachorètes (ermites),
des cénobites (ceux qui vivent sous la discipline d’une vie
communautaire), des gyrovagues (des moines errants sans attache
communautaire, livrés à leur bon plaisir), et des
sarabaïtes. Les plus détestables sont les sarabaïtes
: « Faire ce qui leur plaît, voilà leur loi.
Toutes les pensées qu’ils ont, toutes les décisions
qu’ils prennent, ils les disent saintes. Mais pour les choses qu’ils
ne veulent pas faire, ils pensent : ‘Nous n’avons pas le droit de les
faire.’ »[13]
Saint Benoît décrit une maladie spirituelle qui
n’affecte pas seulement les religieux. C’est la lecture « à la carte » des textes sacrés, qui
consiste à choisir les versets qui vous conviennent et
à ignorer ceux qui les rééquilibrent, les
éclairent ou les nuancent en les replaçant dans un
contexte plus large et plus complexe d’interprétation. Bien
des personnes ont ce comportement pour justifier une opinion
déjà arrêtée, par opposition à la
recherche sincère et dérangeante de la
vérité au milieu des contradictions et des
ambiguïtés.
Puis, dans le chapitre soixante-douzième de la
Règle, saint Benoît traite de la question
décisive de la disposition du cœur. Il s’agit d’un
avertissement plus que d’une règle : « De même
qu’il y a un zèle amer, mauvais, qui sépare de Dieu et
mène à l’enfer, de même il y a un bon zèle
qui sépare des vices et mène à Dieu et à
la vie éternelle. »[14] Ce bon
zèle, ajoute-t-il, les moines doivent le développer en
montrant du respect les uns pour les autres, en supportant avec
patience les faiblesses de chacun, et en pratiquant à l’envie
l’obéissance à tous.
Le zèle de l’amertume. Qui pourrait douter que la plupart
des formes de violence ont leurs racines dans les divers visages de
l’amertume : colère, emportement et haine ? La prière
la plus fervente du moine-médecin, Frère Luc,
était : « Seigneur, s’il te plait, ne me laisse pas
mourir la haine au cœur ! »
Derrière le terrorisme sous toutes ses formes, se cache
toujours le feu dévorant de l’amertume. Qu’il s’agisse de la
violence perpétrée par des musulmans ou des juifs, de
fusillades comme celle de Columbine[15], d’attentats comme
celui de Timothy McVeigh[16] ou d’assassinats en
série comme ceux de John Mohammed[17], il se trouve
toujours, à l’origine de ces actes, une colère qui
finit par submerger les digues de la maîtrise de soi. Le
terrorisme pratiqué au nom de l’islam doit être
considéré, selon moi, comme une colère
exprimée dans le langage culturel musulman parce que c’est le
seul langage que connaissent les musulmans. Leurs valeurs, leur foi,
leur bien-être ont été secoués, meurtris,
et blessés par toutes sortes de forces, internes et externes.
Pour l’immense majorité, leur foi constitue leur
référence morale, qui les aide à contenir cette
colère ou à en limiter les cibles.
Mohammed Bouslimânî, témoin d’un islam
pacifique
Mais à cause de la loi de Gresham, telle qu’elle s’applique
au monde de l’information – les mauvaises nouvelles chassent les
bonnes – nous ne sommes informés que des dérives
violentes de l’islam. On ne nous dit presque rien des imams algériens et des islamistes non-violents qui sont
assassinés à cause de leur opposition aux meurtres
d’innocents au nom de l’islam. Pourtant, l’islam sunnite ressemble
beaucoup au protestantisme par son absence de hiérarchie
ecclésiastique, ce qui explique qu’il existe « autant
d’islams que de variétés de couscous », pour
reprendre la formule imagée d’un ami marocain. Parmi les
musulmans pacifiques, il y a l’exemple du Cheikh Mohammed
Bouslimânî, un chef religieux très connu et
respecté, qui vivait à Blida, non loin de Tibhirine.
Après l’annulation des élections législatives
de 1992 et la constitution de divers groupes armés
d’opposition par certains éléments du FIS, qui
était maintenant interdit d’existence, le Hamas,
dirigé par le Cheikh Mahfoud Nahnah dénonça le
recours à la violence. Appartenant à la branche
pacifique des Frères musulmans, son islam prônait une
voie pacifique. Ce parti voulait une société
fondée sur les valeurs musulmanes, la démocratie et le
pluralisme. Le changement qu’il préconisait nécessitait
plus de patience et se fondait sur la da’wâ :
enseignement, exhortation morale, exemple et bonnes œuvres. Mohammed
Bouslimânî, ami d’enfance du Cheikh Nahnah, était
le président de l’association charitable du Hamas,
l’Irchâd wa-Islâh. Il était très
respecté pour ses compétences en droit musulman et pour
ses capacités d’organisateur. Un matin de novembre 1993, il
fut victime d’un enlèvement par le GIA, à son domicile.
L’émir local du groupe armé voulait qu’il produise une fatwâ justifiant le meurtre des civils qui soutenaient
le Tâghût – c’est-à-dire la dictature
maléfique qu’ils essayaient de renverser. Le Cheikh
Bouslimânî opposa un refus catégorique pendant
plus de deux mois : il ne voulait pas justifier les assassinats.
Les rapports de police obtenus à partir d’anciens
prisonniers du GIA indiquent que la culture religieuse de Mohammed
Bouslimânî surpassait tellement celle de ses ravisseurs
que leurs certitudes sur l’islam en furent ébranlées.
S’ils ne combattaient pas selon des préceptes authentiques,
ils n’iraient pas au paradis – où l’eau est fraîche et
où il y a beaucoup de vierges à aimer – mais en enfer,
où ils boiraient de l’eau bouillante et du sang
putréfié. Les vrais moudjahiddines veulent
croire qu’ils font la volonté de Dieu. Qu’un érudit
leur démontre qu’ils se sont fourvoyés en
obéissant à des chefs incultes qui ne possèdent
qu’une connaissance partielle du Coran et de la tradition, et qu’ils
font le mal au lieu de faire le bien, peut être décisif
pour une personne qui se soucie du sort de son âme. C’est une
raison suffisante pour rendre les armes ou rompre avec un émir
au profit de quelqu’un qui combat pour la justice sans fouler au pied
la morale.
L’histoire du Cheikh Bouslimânî, et ses discussions
avec ses ravisseurs, nous rappellent l’importance d’une bonne
connaissance religieuse et de la foi en l’immortalité de
l’âme dont parlait Orwell : le désir des musulmans qui
craignent Dieu d’avoir une conduite morale droite, pour aller au
paradis ; oui, même les terroristes ! Il y a beaucoup de
preuves en Algérie du souci des terroristes concernant le sort
de leur âme. Mes entretiens avec des membres des services
secrets britanniques m’ont donné accès aux
transcriptions de certaines conversations des forces de
sécurité qui essayaient de « désarmer » des moudjahiddines en discutant de
l’interprétation correcte de la Loi.
Si l’on ne réalise pas qu’il y a des islamistes qui veulent
améliorer leur société par des moyens pacifiques
fondés sur des principes musulmans – qui ont des points
communs avec l’éthique judéo-chrétienne – les
Etats-Unis courent le risque de tomber dans le piège d’une
escalade de la violence qu’ils cherchent précisément
à endiguer.
N’est-il pas concevable que l’islam possède au sein
même de ses communautés suffisamment de vigueur et
d’intégrité morale pour corriger et combattre les
excès commis en son nom, qui ternissent son image et
déconsidèrent cette foi ? L’expérience
algérienne laisse espérer que cela puisse être le
cas dans d’autres parties du monde musulman, ravagées par la
violence.
Formes et causes de la violence
Mais examinons d’abord le zèle de l’amertume, tel qu’il
peut être observé durant la guerre civile des
années 1990 en Algérie, lorsque ce pays était
paralysé par la peur. L’Algérie était pleine
d’amertume et de colère. Il y avait une colère qui
s’exprimait de manière non-violente ou était
transformée en activités non-violentes – dans le cas de
Mohammed Bouslimânî, par exemple – et il y avait de la
colère qui s’exprimait de façon violente. Mais il y
avait aussi différentes catégories de violence : la
violence « islamiquement correcte » de l’AIS
(l’Armée islamique du salut) qui limitait ses cibles aux
combattants (police, forces de sécurité, et
représentants de l’Etat) et la violence « islamiquement incorrecte » du GIA qui n’avait pas de
limites, se finançait par le trafic de drogue, ne s’occupait
pas des veuves des moudjahiddines ou pratiquaient le viol et la
torture.
D’où venait cette violence ? Elle avait de nombreuses
origines, mais j’en citerai deux parce qu’elles sont fort
répandues dans le monde musulman.
Tout d’abord, il y avait la mauvaise gestion. L’Imam Ali Belhadj,
qui devint vice-président du FIS, l’explique très bien,
lui qui fut l’un des porte-parole les plus éloquents de la
jeunesse déshéritée d’Alger dans les
années 1980-1990 : « Notre soi-disant élite
parle de socialisme et d’égalité […], d’être ‘par
le peuple’ et ‘pour le peuple’. Mais ils sont riches et vous
êtes pauvres. […] Le djihâd de 1954 doit continuer. Ceux
qui sont morts pour l’islam il y trente ans ont été
trahis. »[18]
La liste des mécontentements incluait les espoirs
déçus de la jeune génération
scolarisée de l’après-guerre, l’excessive
dépendance économique à l’égard du
pétrole, l’inefficacité du modèle de
développement soviétique, le népotisme, la
justice arbitraire, la brutalité policière, la
corruption, l’inégalité des chances et un gouvernement
qui avait des relents de colonialisme français aux yeux de
l’opposition islamiste.
Par ailleurs, il y avait le réservoir explosif, et souvent
sous-estimé, du désir personnel de se venger du mal
fait à d’autres. En Algérie, il s’alimentait à
diverses sources : amis ou membres de la famille brutalisés
par les forces de sécurité, ou jeunes tués par
l’armée dans les rues d’Alger en octobre 1988. Il y avait
aussi la sympathie, comparable à l’émotion
suscitée par les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis,
pour tous les musulmans victimes des gouvernements « apostats », des bombes américaines ou des tanks
israéliens.
L’Algérie, ou le monde en miniature
Comme les individus, tous les pays sont différents. Mais
ils sont tous semblables aussi. Je pense que l’Algérie et,
dans certaines limites, l’expérience française en
Algérie hier et aujourd’hui, offrent un microcosme des
défis que les Etats-Unis ont à relever en ce moment
même face au monde musulman, surtout au Moyen-Orient.
Qu’est-ce que l’Algérie a de commun avec les autres pays ?
De multiples guerres.
Il y a la guerre civile qui est politique, religieuse, culturelle
et économique, et l’Occident y est impliqué – la
France, ici, surtout à cause de son passé et de son
soutien au gouvernement algérien. Comme l’a dit le
Président Bush, « l’ami de mon ennemi est mon ennemi. » La guerre est alors mondiale. Car la majorité des
terroristes encore actifs en Algérie appartiennent au GIA ou
au Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC),
deux groupes affiliés au réseau international
islamiste. Ce sont les nouveaux moudjahiddines, qui partagent
les objectifs énoncés par Oussama Ben Laden en 1996.
Ceux-ci sont triples : mettre un terme à la présence
française en Algérie, physiquement et culturellement
(même chose pour les Etats-Unis au Moyen-Orient) ; renverser
les gouvernements musulmans « apostats », corrompus
et hypocrites ; remplacer les Etats-nations, devenus des idoles
destructrices, par la Oumma sans frontière, qui ressemble
à la chrétienté d’autrefois mais avec des droits
différents pour chacune des communautés religieuses qui
la compose, comme sous l’empire ottoman. La colère à
l’endroit des Etats-Unis est similaire : l’ami de mes ennemis est mon
ennemi.
Bien que le gouvernement algérien soit toujours
empêtré dans une montagne de problèmes
économiques et politiques intérieurs, il a
réussi à réduire la violence extrême qui
ravageait le pays au milieu des années 1990. De ce relatif
succès gouvernemental, il y a également des
leçons à tirer, même si l’Algérie
représente toujours le cauchemar auquel tous les autres pays
arabes voudraient échapper. A la réflexion, ce
succès peut s’expliquer de différentes manières
: les terroristes ont perdu leur soutien initial auprès de la
population en souillant l’islam par leurs tactiques de guerre totale
et sans pitié ; les forces de sécurité
algériennes ont amélioré leurs techniques de
combat antiterroristes et ont bénéficié d’aides
militaires discrètes, mais sans engagement visible d’une force
étrangère, en l’occurrence, la France, même
lorsque cette dernière devint elle-même la cible des
terroristes en 1995. Or les raisons invoquées par le GIA pour
attaquer la France sont les mêmes que celles avancées
par Al Qaïda lorsqu’il prit les Etats-Unis pour cible :
les amis de mes ennemis sont mes ennemis[19].
Les méfaits de la mentalité coloniale
Qu’y a-t-il, dans l’expérience française, qui puisse
être utile à la réflexion ? Certains
Américains pourraient probablement répondre qu’il n’y
rien, comme ils le dirent après Dien Bien Phu, et avant que
les Etats-Unis ne s’engagent lourdement au Vietnam. « La
France est un petit pays, affaibli, qui a perdu sa puissance
militaire », affirmait-on alors. « Les Etats-Unis
sont une grande nation, solide, et la seule superpuissance mondiale.
L’expérience française n’a rien à nous
apprendre. »
Comme le dit la Bible, l’orgueil précède la chute.
Lorsque l’on est au sommet, le danger est d’autant plus grand qu’il
n’y a qu’un seul chemin possible : celui du déclin. Nombreuses
sont les voix, aujourd’hui, aux Etats-Unis, qui ressemblent à
celles des Français au milieu du XIXe siècle. Ils vivaient encore dans le souvenir complaisamment
entretenu des gloires napoléoniennes et ils n’avaient pas
encore subi le choc de leur humiliation à Sedan, par les
armées prussiennes. Les militaires et les colons
français croyaient que leur pays représentait tout ce
qu’il y avait de meilleur dans le monde : l’expression la plus
achevée de la civilisation européenne, l’armée
la plus puissante, la libération de l’Europe du
féodalisme, le promoteur des Droits universels de l’Homme,
à la fois cartésien et chrétien,
société technicienne fondée sur une
pensée logique, avant-garde progressiste des valeurs
chrétiennes puis républicaines. En Algérie, la
France ne faisait qu’étendre les bénéfices
évidents de sa civilisation. Les indigènes musulmans
n’avaient qu’à abandonner leur foi et leurs coutumes
dépassées.
Cette sorte de supériorité arrogante et de
mépris généralisé pour la population
locale ruina beaucoup d’initiatives bien intentionnées et de
progrès que la France voulait apporter. Les Arabes pouvaient
aisément mesurer sa supériorité dans les
domaines militaire, médical et technique. C’est pourquoi la
plupart des musulmans respectent et admirent la réussite
économique et technologique des Etats-Unis et de l’Occident.
La mentalité coloniale consiste à affirmer qu’une
des parties est supérieure à l’autre parce que son
savoir est supérieur, son style de vie est supérieur,
bref, certaines personnes sont supérieures aux autres.
Finalement, c’est ce mépris qui rendit toute forme de
coexistence authentique impossible. La soumission de l’Algérie
ne s’acheva pas vraiment en 1847 quand l’Emir Abdelkader se rendit
à la France après quinze ans de djihâd. Sa
capitulation n’était qu’une trêve parmi beaucoup
d’autres, qui conduisit au soulèvement ultime de la Toussaint
1954.
Les dirigeants américains et occidentaux, dans les
gouvernements et les ONG, devraient donc se demander s’il ne se cache
pas une mentalité coloniale plus subtile derrière leurs
projets de construction de sociétés civiles et de
démocratisation. La certitude arrogante que nous avons les
réponses (capitalisme, démocratie) est-elle si
différente de l’autosatisfaction du missionnaire
chrétien de jadis, qui était persuadé d’apporter
le progrès spirituel ? Aux Etats-Unis, ce pays qui passe pour
être chrétien, ce serait la révolution si
davantage de responsables politiques suivaient leur bon sens et un
précepte rationnel qui se trouve être une phrase
d’Evangile : « Ce que vous voulez que les hommes fassent pour
vous, faites-le pour eux pareillement. »[20].
Ceci veut dire qu’il faut savoir se mettre à la place des
autres.
Parler le langage de l’islam
Les dirigeants américains doivent apprendre à
communiquer avec le monde musulman en utilisant son propre langage.
Il est toujours demandé aux diplomates de parler la langue et
de connaître l’histoire des pays où ils sont
envoyés. Apprendre la langue et la culture d’un peuple
étranger exige un effort qui est un signe de respect et la
reconnaissance du fait que, sans cette connaissance, on
n’établira qu’un contact superficiel avec le pays. Le
véritable langage du monde musulman n’est pas l’arabe. C’est
l’islam. Si nous voulons parler aux dirigeants musulmans de
réformes, de changements ou de valeurs morales, nous devrions
leur montrer que nous connaissons leur Livre et discuter, le cas
échéant, en des termes qui sont les leurs, comme le fit
Christian de Chergé avec Sayah Attia.
Le Coran est la constitution musulmane ; les hadîths (les dits de Mahomet) et la sunna (les actes
attribués à Mahomet) sont leur jurisprudence ; les oulémas sont leur Cour suprême[21] ;
le majlis est leur forme de démocratie consultative et
consensuelle ; et le calife est le chef de l’Exécutif. Enfin,
la foi, malgré les complexités d’interprétation
et les multiples écoles juridiques, fournit les
références morales qui devraient en principe inspirer
l’action du gouvernement (autorité laïque), comme les
églises chrétiennes ont régulièrement
influencé la politique américaine[22] :
abolition de l’esclavage ; lutte contre les inégalités
sociales ; droits civiques ; lois sur l’alcool, les jeux de hasard,
le divorce ou l’avortement.
« L’Algérie étonnera le monde »
Sur son lit de mort, en 1996, le Cardinal Duval affirma qu’un jour
« l’Algérie étonnera le monde. »[23]
L’avenir dira si l’Algérie étonnera ou non le monde,
mais ce qui ne fait pas de doute, c’est qu’il y a des choses dans ce
pays qui m’ont étonné, moi, au cours de mes recherches,
et qui montrent que la religion peut être source de
réconciliation et d’apaisement dans la crise actuelle des
relations entre musulmans et non-musulmans :
1°) Pendant la guerre d’indépendance, à chaque
fois que les troupes françaises se trouvaient dans des
situations critiques, elles envoyaient leurs aumôniers pour
négocier avec les rebelles et se tirer d’affaire.
2°) Deux ans après avoir obtenu l’indépendance,
les habitants de Bellecourt, un quartier arabe d’Alger où
grandit Albert Camus, élirent leur premier représentant
au conseil municipal. Ils choisirent l’Abbé Jean Scotto, un
prêtre catholique français, très aimé et
respecté par la population.
3°) Des Français que j’ai interrogés, qui
s’étaient rendus en l’Algérie avec appréhension
dans les années 1960, comme touristes ou pour des raisons
professionnelles, étaient tous étonnés de la
rapidité avec laquelle les Algériens leur avaient
pardonné. « Le passé est le passé », disaient-ils.
4°) Au milieu des années 1970, alors que
l’Algérie était en pleine politique d’arabisation sous
la pression de l’aile islamiste du FLN, de hauts responsables
algériens avaient demandé à des Sœurs libanaises
d’enseigner le Coran à leurs femmes. Quelle extraordinaire
bonne volonté de part et d’autre !
5°) Un journaliste franco-algérien me raconta
qu’à la suite de sa victoire électorale aux municipales
de 1990, le FIS confia les finances du village de Tamanrasset
à une Petite sœur de Jésus (congrégation
fondée à la suite de Charles de Foucauld).
6°) En 1993, Christian de Chergé tînt tête
à l’homme qui avait tué douze Croates quelques semaines
auparavant, en invoquant la loi commune à l’islam et au
christianisme. Cette loi interdit le port des armes dans un lieu de
culte. Il gagna le respect de l’émir, se permettant même
de le semoncer pour avoir porté une arme dans
l’hôtellerie du monastère, et lui imposant de la laisser
dehors ou de sortir lui-même. Certains disent que,
jusqu’à sa mort, l’émir accorda son amân au monastère, ce qui protégea les moines pendant
près de trois ans.
7°) Enfin, l’assassinat des moines et les réactions au
testament spirituel de Christian de Chergé, publié dans
les journaux locaux, provoqua un raz-de-marée de lettres de la
part de gens ordinaires, qui s’adressèrent à
l’archevêque d’Alger, Mgr Henri Teissier.
Une femme écrivit ceci :
« Dieu n’éprouve-t-il pas ceux qu’Il aime ? En tous
les cas, nous, nous vous aimons. Vous faites partie de nous. Nous
avons failli à notre mission : celle de vous protéger,
de vous choyer et de vous aimer. Pardonnez-nous ! Votre place est
parmi nous. N’écoutez pas les pharisiens ! Vous devez
accomplir votre mission envers Dieu avec nous. Je pense que c’est le
dessein de Dieu. »[24]
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[1] Abd el-Kader, Ecrits spirituels, traduction de Michel
Chodkiewicz, Editions du Seuil, 1982, p. 129-130 [NDT].
[2] Pour les musulmans, la formule proclame avant tout la
transcendance inaccessible de Dieu. Mais l’auteur y voit un appel
à la largeur d’esprit [NDT].
[3] Marie-Christine Ray, Le Cardinal Duval, Paris, Cerf,
1998, p. 62 [NDA].
[4] Mt 5, 46 [NDT].
[5] L’expression est de Christophe Lebreton, dans son journal
publié en 1999 sous le titre Le souffle du don, Journal de
Frère Christophe, moine de Tibhirine, Bayard Editions /
Centurion [NDT].
[6] Formule du président américain Georges W. Bush
dans son discours de l’état de l’Union du 29 janvier 2002, qui
stigmatisait l’Irak, l’Iran et la Corée du Nord [NDT].
[7] Jn 4, 20-21 : « Si quelqu’un dit : j’aime Dieu, et
qu’il haïsse son frère, c’est un menteur ; car celui qui
n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu
qu’il ne voit pas ? Et nous avons de lui ce commandement : que celui
qui aime Dieu aime aussi son frère. » [NDT].
[8] Coran 13,11 [NDT].
[9] Coran 5, 82 [NDT].
[10] Jacques Ellul conteste la portée spirituelle de cette
généalogie commune, citant les paroles de Jésus
dans l’évangile selon Matthieu : « Produisez donc un
fruit qui exprime votre conversion, et n’allez pas dire en
vous-mêmes : ‘Nous avons Abraham pour père’. »
(Mt 3, 7-12). Cf. Jacques Ellul, Islam et
judéo-christianisme, PUF, 2004 [NDT].
[11] Reste à définir ce qu’est la volonté de
Dieu et comment la discerner et la mettre en œuvre. Des
différences se font alors jour entre christianisme et islam.
Cf. Henri Sanson, L’islam au miroir du christianisme, Cerf,
1984, p. 41-49 [NDT].
[12] De fait, les Bibles juive et chrétienne affirment que
« Dieu créa l’homme à son image, à
l’image de Dieu il le créa » (Gn 1, 27). Le Coran,
quant à lui, répète inlassablement que « rien n’est semblable à Allâh » puisqu’il est
le « Tout Autre ». Le hadîth qui
affirme que « Allâh créa Adam à
l’image » ne se réfère qu’à l’image que
Dieu s’était faite de l’homme dans son projet créateur
[NDT].
[13] Règle de saint Benoît, chapitre 1er, versets 6-9
[NDA].
[14] Ibid, chapitre 72, versets 1-2 [NDA].
[15] Allusion à une fusillade dans un établissement
scolaire américain du Colorado le 20 avril 1999, qui fit 15
morts [NDT].
[16] Allusion à l’attentat à l’explosif contre un
immeuble de l’administration fédérale à Oklahoma
City le 19 avril 1995, qui fit 167 morts [NDT].
[17] Allusion à un tueur en série opérant
à Washington DC qui fut arrêté en 2002 [NDT].
[18] Cité par M. Al -Ahnaf, Bernard Botiveau et Franck
Frégosi dans L’Algérie par ses islamistes,
Karthala, 1991, p. 85-91 et Pierre Guillard dans Ce fleuve qui
nous sépare, lettre à l’imam Ali Belhadj, Editions
Loysel, 1994, p. 25-28 [NDA].
[19] Adam Robinson, Bin Laden, New York, Arcade, 2001, pp.
143 ; 247 [NDA].
[20] Lc 6, 31 [NDT].
[21] Equivalent américain du Conseil constitutionnel
français sous la Ve République [NDT].
[22] La différence étant que la Bible n’est pas la
constitution des Etats-Unis et que l’un des enjeux actuels des
débats sur la charia est de rendre la loi coranique
compatible avec la référence universelle des droits de
l’homme et du citoyen [NDT].
[23] Témoignage de Denis Gonzalès publié en
annexe du livre de Marie-Christine Ray, Le Cardinal Duval, un
homme d’espérance en Algérie, Cerf, 1998, p. 212
[NDT].
[24] Archives personnelles de Mgr Henri Teissier [NDA] |