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Les moines de Tibhirine

John Kiser___-

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L’islam au miroir de Tibhirine

par Henry Quinson[1]

Article publié dans la revue Commentaire, printemps 2006

Revue fondée en 1978 par Raymond Aron
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« Ce que l'on peut offrir de meilleur à l'autre, c'est sa liberté. »

(Christophe Lebreton, moine de Tibhirine, 19 juillet 1995)

L’islam : concurrence, proximité et menace

Selon un sondage Ipsos-LCI-Le Point réalisé en mai 2003, 62 % des Français considèrent que les valeurs de l'islam ne sont pas compatibles avec celles de la République. L'image de l'islam reste donc négative. De surcroît, cette religion est plus que jamais au cœur du débat public en France pour au moins trois raisons. Tout d'abord, l'islam est démographiquement le premier rival du christianisme (il y aurait aujourd'hui plus d'un milliard de musulmans à travers le monde). Il apparaît donc à certains comme une force religieuse concurrente et une civilisation alternative. Ensuite, les musulmans sont nos voisins les plus proches : le Maghreb, jadis colonisé par la France, n'est qu'à une heure d'avion, et les vagues d'immigration, depuis l'indépendance du Maroc, de la Tunisie et de l'Algérie, ont abouti à une forte présence de l'islam dans certains quartiers des villes de l'Hexagone (globalement, les musulmans constitueraient 10% de la population française, selon certains observateurs, chiffre qui placerait la France au quinzième rang des 56 pays que compte l'Organisation de la conférence islamique). Enfin, la montée du terrorisme se réclamant de cette tradition religieuse donne l'impression qu'au nombre et à la proximité s'ajoute parfois l'agressivité, illustrée par les attentats des années 1990 en France, les attaques du 11 septembre aux Etats-Unis et les bombes, plus récentes, de Madrid et de Londres. Sachant que les principales réserves pétrolières se trouvent dans cette " ceinture islamique ", on comprend qu'une majorité de Français se montrent préoccupés par une réalité géopolitique où l'argent et la violence[2] semblent utilisés par certains pour imposer, à tout prix, leur idéologie religieuse.

Tibhirine, dix ans après

C'est dans ce contexte que les éditions Nouvelle Cité publient le livre de John Kiser sur les moines de Tibhirine[3], à l'occasion du dixième anniversaire de leur mort. De l'avis de nombreux connaisseurs de l'Algérie, cet ouvrage, écrit par un Américain, est l'un des meilleurs parus sur le sujet. Cette traduction française arrive à point nommé pour éclairer le débat sur la nature de l'islam et l'attitude juste à adopter vis-à-vis des musulmans qui habitent nos cités et à l'égard des pays qui nous entourent, de l'Algérie à la Turquie.

L'enlèvement le 27 mars 1996 et l'annonce, le 21 mai, de la mort de sept moines trappistes dans la région de Médéa, en Algérie, marquèrent profondément les esprits de part et d'autre de la Méditerranée. A preuve, la grande " manifestation de solidarité et de protestation nationale " organisée par François Bayrou, le 28 mai 1996, au Trocadéro, qui rassembla plus de dix mille personnes. A Alger, les plus hautes autorités de l'Etat algérien assistèrent à la messe de funérailles des moines et du Cardinal Duval, mort à l'annonce du tragique dénouement. " Le fait qu'un gouvernement musulman ait honoré la mémoire du Cardinal Duval et de sept moines trappistes 'insignifiants' par des funérailles nationales, note John Kiser, n'est-il pas le commencement de quelque chose de nouveau - au moins aux yeux d'une grande partie du monde occidental, si accoutumé à penser que les musulmans sont de violents fanatiques en guerre contre les valeurs dites occidentales ? "

De fait, le livre de John Kiser montre de manière convaincante que la vie monastique pratiquée par ces moines catholiques fut un véritable trait d'union entre les mondes musulman et chrétien : ce ne sont pas leurs voisins qui tuèrent ces " priants parmi d'autres priants. " Mieux encore, cette enquête sur la vie à Tibhirine permet de découvrir des visages de l'islam fort étonnants et contrastés. Le monde musulman apparaît dans toute sa complexité et sa variété. Derrière la violence sans cesse médiatisée, se cacherait-il donc une mutation riche de promesses ? En tout cas, cet épisode où se côtoient terrorisme et fraternité invite à comprendre les racines du malaise actuel et à chercher les voies d'une sortie de crise. De ce point de vue, l'Algérie et le monastère de Tibhirine constituent une sorte de microcosme révélateur des défis et des enjeux qu'affronte actuellement l'islam dans son rapport au reste du monde.

Les textes ou les hommes ?

La première question posée à l'islam par le meurtre des moines (même si la version officielle du gouvernement algérien est toujours contestée) fut bien sûr de savoir si un tel acte était licite. Le GIA le justifia religieusement, dans son communiqué 43 : " Si un moine sort de son ermitage et se mêle aux gens, son meurtre devient licite. " En revanche, le grand imam de la mosquée d'El Azhar, au Caire, dénonça le meurtre, considéré comme " un acte criminel pour toutes les religions révélées ". En France, le Conseil national des imams publia une fatwâ indiquant que la loi obligeait les croyants à respecter et protéger les moines. " L'illégalité de l'agression contre les moines […], concluait la fatwâ, n'est autre que le jugement édicté par tous les textes coraniques et les propos prophétiques. "

Cette fatwâ pose le problème suivant : la violence vient-elle des textes (Coran et Sunna) ou des personnes ? L'immense majorité des spécialistes de l'islam concluent, avec Bruno Etienne, que " c'est à partir d'une interprétation abusive du djihâd que des moines ont été assassinés en Algérie. "[4] Mais le Coran, que les musulmans considèrent comme la " parole incréée " de Dieu ne comporte-t-il pas certaines incitations à la haine contre les chrétiens ? Plusieurs passages posent question, comme le verset 89 de la 4e sourate : " Ne prenez donc pas d'alliés parmi eux, jusqu'à ce qu'ils émigrent dans le sentier d'Allah. Mais s'ils tournent le dos, saisissez-les alors, et tuez[5]-les où que vous les trouviez. " L'hostilité à l'égard des chrétiens et des juifs ne date donc pas de la période coloniale, même si celle-ci a pu la renforcer, sur des bases plus nationalistes que religieuses. D'ailleurs, la violence a surtout touché les musulmans eux-mêmes : plus de 150 000 morts en Algérie, en dix ans. Or certains accusent encore les textes : " Et combattez-les jusqu'à ce qu'il ne subsiste plus d'association, et que la religion soit entièrement à Allah " (8, 39).

Il est évident que c'est aux musulmans eux-mêmes de prendre parti et d'expliquer le sens exact et la portée de ces sourates, sachant qu'il est aussi écrit : " Nulle contrainte en religion ! " (2, 256) Le travail d'herméneutique est d'autant plus urgent que l'histoire de l'islam en chair et en os n'est guère plus rassurante. Même aux yeux de spécialistes bienveillants comme Bruno Etienne, " la conquête arabe fut […] guerrière "[6]. Le Prophète Mahomet et ses successeurs étaient en effet des chefs militaires, à la différence du Christ ou du Bouddha. Les deux vagues majeures d'islamisation des pays chrétiens - l'invasion arabe de 632 à 750 et la conquête turque du XIe au XVIe siècle - laissèrent de mauvais souvenirs dans ces régions qui étaient peuplées exclusivement de chrétiens avec, selon les lieux, de larges communautés juives. Une partie de ces populations fut massacrée, une autre réduite en esclavage, une autre déportée, et une autre devint dhimmie[7].

Au total, ni les textes ni l'histoire des hommes n'apaisent les inquiétudes du reste du monde à ce jour. " Or la difficulté est considérable, conclut Bruno Etienne : l'islam se considère comme la clôture de la prophétie monothéiste et il lui faut montrer quel a été son apport dans le legs commun. Et cela au moment même où il montre un visage plutôt négatif depuis deux siècles. "[8]

Les causes d’un blocage

Dans ce climat mondial de plus en plus méfiant, voire hostile, à l'islam, plusieurs thèses s'affrontent. Pour les uns, le malaise actuel vient du fait que l'islam se trouve dans une impasse intellectuelle : si le Coran est la " parole incréée " de Dieu, écrite dans une langue parfaite et sans erreur aucune, il n'est pas possible de lui appliquer une herméneutique historico-critique. La rencontre de la foi et de la raison scientifique ne peut se faire comme dans le judaïsme et le christianisme, qui ne sont justement pas des " religions du Livre ", mais des " religions à livres ", " inspirés " mais non " dictés ", nés et commentés par de nombreuses personnes et communautés, au cours de plusieurs siècles, dans une Tradition qui se veut découverte et approfondissement d'une relation à Dieu - et non simple obéissance à des commandements divins écrits une fois pour toute - dans des langues et des cultures variées et changeantes, tout au long d'une histoire du salut qui culmine, chez les chrétiens, par la rencontre d'une Personne - et non d'un texte ou d'une Loi écrite - dans l'événement de l'Incarnation pascale. Le " temps de l'Eglise " est d'abord le " temps de l'Esprit ", qui souffle dans des directions imprévisibles (Jn 3, 8).

Généralement, les auteurs qui insistent sur le statut théologique différent des " Ecritures " musulmanes attribuent à la singularité du Livre unique et parfait tous les autres blocages : la fermeture des portes de l'interprétation des textes (ijtihad), l'impossibilité pour les musulmans de changer de confession religieuse ou de professer des vues agnostiques ou athées, le statut des minorités religieuses et des femmes, et les dictatures politiques. Si le système est bloqué, c'est parce que le Livre sur lequel il est fondé n'offre pas d'évolution possible, ce qui, en soit, montre qu'il n'est pas le sommet annoncé de la Révélation. Si les islamistes disent que le Coran est leur " constitution ", ces critiques répondent qu'il faut changer de constitution pour débloquer le système.

Pour d'autres observateurs, la stagnation civilisationnelle et le terrorisme musulmans sont le fait de la combinaison des pétrodollars et du wahhabisme[9]. Ce n'est pas l'islam qui est en question, c'est seulement l'influence de l'Arabie Saoudite. Pour ces auteurs, il existe un islam ouvert capable de se réformer comme l'Eglise catholique lors du Concile Vatican II. La violence vient donc bien d'une idéologie religieuse, providentiellement financée par la manne pétrolière, mais ce n'est qu'une des tendances de l'islam qui est en cause, pas le Coran et la Sunna. Ces analyses ont gagné du terrain après les attentats du 11 septembre 2001, qui ont souligné l'importance du terrorisme d'origine saoudienne. Mais comment expliquer la révolution chiite iranienne de 1979 ? L'islam politique radical n'a-t-il pas des bases plus larges et plus profondes, où se mêlent des éléments politiques, économiques, sociaux et religieux ?

Retour aux faits

L'intérêt du livre de John Kiser est de proposer une approche essentiellement factuelle, à partir d'une histoire particulière. Par cette fenêtre sur les relations islamo-chrétiennes dans un minuscule village d'Algérie, on découvre la complexité et les paradoxes du monde musulman d'aujourd'hui. Le premier de ces faits surprenants remonte à la guerre d'Algérie. Le récit commence, en effet, par le sacrifice de Mohammed, ce père de famille algérien qui n'hésita pas à donner sa vie pour protéger son jeune ami Christian de Chergé, séminariste, alors officier de la SAS, menacé par des fellagas au cours d'une visite dans le bled. Voilà qui, d'emblée, désarçonne le lecteur qui s'attend à une dénonciation de la violence musulmane. L'événement est d'autant plus important qu'il est sans doute le fondement du parcours spirituel et théologique de celui qui deviendra, en 1984, le supérieur (prieur) de la communauté de Tibhirine. Un croyant de l'islam peut aimer un ami chrétien jusqu'à mourir pour lui : c'est un fait.

Partant de cet exemple et de beaucoup d'autres, dont celui des villageois de Tibhirine, qui, tout en ayant voté pour le FIS, supplièrent jusqu'au bout les moines de rester, John Kiser s'interroge : " N'est-il pas concevable que l'islam possède au sein même de ses communautés suffisamment de vigueur et d'intégrité morale pour corriger et combattre les excès commis en son nom, qui ternissent son image et déconsidèrent cette foi ? "

Formes et causes de la violence

Pour expliquer la violence en Algérie, John Kiser explore toutes les dimensions du phénomène, et observe que, durant la guerre civile des années 1990, le pays était " plein d'amertume et de colère ". Cette colère pouvait s'exprimer de manière non-violente ou canalisée par des activités pacifiques et constructives mais elle se manifestait aussi de façon agressive. Toutefois, il existait différentes catégories de violence : la violence " islamiquement correcte " de l'AIS (l'Armée islamique du salut), qui limitait ses cibles aux combattants (police, forces de sécurité, et représentants de l'Etat), et la violence " islamiquement incorrecte " du GIA, qui n'avait pas de limites, se finançait par le trafic de drogue, pratiquait le viol et la torture.

Cette violence était d'abord la réaction à une piètre gestion - socialiste - de l'économie. L'Imam Ali Belhadj, qui devint vice-président du FIS, l'explique très bien, lui qui fut l'un des porte-parole les plus éloquents de la jeunesse déshéritée d'Alger dans les années 1980-1990 : " Notre soi-disant élite parle de socialisme et d'égalité […], d'être 'par le peuple' et 'pour le peuple'. Mais ils sont riches et vous êtes pauvres. […] Le djihâd de 1954 doit continuer. Ceux qui sont morts pour l'islam il y trente ans ont été trahis. "[10] Le mécontentement venait aussi des frustrations de la jeune génération, qui attendait de l'école une ascension sociale finalement déçue. S'y ajoutait l'excessive dépendance économique à l'égard du pétrole, le népotisme, la justice arbitraire, la corruption, l'inégalité des chances et un gouvernement qui rappelait trop le colonialisme français. Enfin, il y avait le désir de venger le mal que d'autres avaient subi : amis ou membres de la famille brutalisés par les forces de sécurité ou tués par l'armée dans les rues d'Alger, en particulier en octobre 1988, et victimes plus lointaines des bombes américaines en Irak ou des tanks israéliens en Palestine.

Dieu « inclusif » et Dieu « exclusif »

Pour analyser cet univers apparemment très religieux, il ne faut donc pas négliger tous les facteurs sociaux. Pour autant, la question théologique ne peut être évacuée. Au contraire, sous la pression des évolutions économiques, technologiques et géopolitiques, des catégories nouvelles se font jour. Aussi John Kiser propose-t-il une typologie qui joue, selon lui, un rôle capital dans les questions de guerre et de paix : la division entre ceux qui croient au " Dieu inclusif " et ceux qui croient au " Dieu exclusif ". Cette distinction devint officielle quand le concile Vatican II conclut ses travaux en rappelant que le Royaume de Dieu est plus grand que l'Eglise. Une telle pensée est toujours considérée comme une hérésie par les catholiques traditionalistes et de nombreuses confessions protestantes. De même, parmi les musulmans, il existe à la fois des islamistes et des hommes comme l'Emir Abdelkader, qui combattit les Français de 1832 à 1847 mais sauva, en 1860, entre 8 000 et 10 000 chrétiens, dont la vie était menacée par d'autres musulmans à Damas. Dans ses Ecrits spirituels, Abdelkader montre clairement son ouverture d'esprit : " Si tu penses que [Dieu] est ce que croient les diverses communautés - musulmans, chrétiens, juifs, mazdéens, polythéistes et autres -, Il est cela et il est autre que cela ! […] Aucune de Ses créatures ne l'adore sous tous Ses aspects. […] Chacune de Ses créatures L'adore et Le connaît sous un certain rapport et L'ignore sous un autre. "[11]

Contre ceux qui croient, comme le Cardinal Duval - autre héros du livre de John Kiser - et l'Emir Abdelkader, que Dieu est " inclusif ", au point d'être critiqués dans leur propre famille religieuse, il y a ceux qui croient que Dieu est " exclusif ". Ils existent dans toutes les traditions religieuses. La maison de leur Dieu est petite ; elle n'a qu'une porte et qu'une clé. Leur conception de la vérité est trop étriquée pour que d'autres puissent en posséder une part, exprimée différemment. Le livre de John Kiser est, entre autres choses, l'histoire de cette lutte spirituelle - parfois mortelle - entre les partisans du " Dieu inclusif " et les défenseurs du " Dieu exclusif ", tant du côté des chrétiens que du côté des musulmans.

Tibhirine et l’islam

Certes, Christian de Chergé et ses frères furent tués dans un pays musulman par des islamistes du GIA (selon la version officielle) ou par des agents de la Sécurité militaire (pour ceux qui conteste la thèse gouvernementale). Compte tenu de l'ultimatum du GIA du 30 octobre 1993, demandant à tous les étrangers de quitter l'Algérie dans un délai d'un mois, le prieur de Tibhirine avait, dans son Testament, prévu la controverse : " Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m'ont rapidement traité de naïf, ou d'idéaliste : 'qu'il dise maintenant ce qu'il en pense !' " On le voit, Christian de Chergé avait pleinement conscience, d'une part, du danger de la situation, et, d'autre part, de l'interprétation négative que feraient certaines personnes de son éventuel assassinat. Pourtant, il accepta délibérément le risque de sa mise à mort et les conséquences fâcheuses qu'un tel événement pourrait avoir sur l'image déjà fort ternie de l'islam. Pourquoi ?

Christian de Chergé refusait toujours les généralisations et s'intéressait plutôt aux " exceptions " prometteuses, souvent contagieuses à long terme. Pour lui, les sociétés musulmanes étaient moins en déclin qu'en phase de mutation. En Algérie, la succession rapide d'événements marquants dans les dernières décennies - lutte sanglante de libération, passage en force du modèle socialiste, avènement du modèle libéral, retour du modèle islamique - étaient autant de ruptures et de remises en question, qui devaient s'avérer, à moyen terme, préférables à l'immobilisme.

Dans cette optique, la présence monastique en terre d'islam n'excluait pas un échec à vue humaine[12], mais, dans la théologie chrétienne, un tel échec peut être transformé en témoignage fécond. En partageant la condition mortelle d'un peuple, d'une civilisation, et même d'une religion, en allant jusqu'à disparaître avec eux, il peut y avoir transformation de ce milieu. C'est la grâce du martyre, qui, dans la faiblesse, parvint à convertir pacifiquement l'empire romain, jusqu'à faire du christianisme sa religion officielle, sous l'empereur Constantin et ses successeurs. Pour les moines de Tibhirine, donc, être assassiné n'était certes pas un bien, mais ce n'était pas, pour autant, un échec absolu. Il s'agissait, d'une part, de répondre à la demande de leurs voisins musulmans qui voulaient qu'ils restent jusqu'au bout avec eux, malgré l'insécurité grandissante, et c'était, d'autre part, une manière de vivre le mystère de l'Incarnation pascale. Car, pour les chrétiens, la mort injuste du Christ brise la spirale infernale de la haine[13] et donne naissance à une humanité nouvelle animée du souffle de l'Esprit.

Diversité des attitudes

Mais une humanité nouvelle n'accouche pas forcément d'un islam nouveau. Certains continuent de penser que Christian de Chergé n'était qu'un doux rêveur dont l'éternel optimisme fut cruellement démenti par la réalité d'un islam intolérant et belliqueux. Comment défendre l'idée que l'islam est, malgré tout, en voie de devenir plus ouvert et pacifique ?

Les moines de Tibhirine avaient délibérément choisi de vivre leur vocation chrétienne dans un pays marqué par de profondes mutations, nées de la décolonisation et de la modernisation du XXe siècle. Dans ce contexte, l'islam algérien ne pouvait pas échapper aux secousses d'une crise majeure de légitimité. Trois sources sont encore en concurrence à ce jour : la légitimité révolutionnaire des nationalistes, la légitimité coranique des islamistes, et la légitimité démocratique des modernistes de tradition libérale. Or, lorsque plusieurs systèmes de croyances relatives à la légitimité coexistent dans un même pays, il s'en suit des crises très graves, allant souvent jusqu'à la guerre civile. Le cas de la France d'après 1789 est patent : pour trancher entre la souveraineté de droit divin et la souveraineté du peuple, il fallut quatre autres révolutions, deux coups d'Etat et trois interventions étrangères. L'Eglise était au cœur de la tourmente politique comme l'islam l'est aujourd'hui en Algérie.

Malgré ce contexte difficile, l'histoire du village de Tibhirine montre que des Algériens souhaitèrent que des moines chrétiens restent avec eux, parce que des liens d'amitié, de coopération et de solidarité s'étaient tissés. De même, des musulmans soufis participèrent jusqu'au dernier jour à des rencontres de partage spirituel, dans le cadre du Ribât al-Salâm. Enfin, nombreuses furent les manifestations de sympathie exprimées à l'annonce de la mort des moines. Cette lettre adressée à l'archevêque d'Alger, parmi beaucoup d'autres, en témoigne : " En tous les cas, nous, nous vous aimons. Vous faites partie de nous. Nous avons failli à notre mission : celle de vous protéger, de vous choyer et de vous aimer. Pardonnez-nous ! Votre place est parmi nous. N'écoutez pas les pharisiens ! Vous devez accomplir votre mission envers Dieu avec nous. Je pense que c'est le dessein de Dieu. "[14]

Il est donc vrai que l'islam ne peut se réduire à ses extrémistes violents : John Kiser n'éprouve aucune difficulté à le démontrer. Reste à savoir s'il existe une dynamique annonciatrice d'une ère nouvelle, capable de modifier sensiblement le système religieux musulman lui-même, que beaucoup critiquent pour son traitement inégal des minorités religieuses et des femmes[15], ou pour ses régimes politiques autoritaires.

Fin de cycle et réconciliation

Sans doute le témoignage des moines de Tibhirine a-t-il contribué à mettre un terme à la série d'assassinats de religieux chrétiens en Algérie (19 meurtres de 1993 à 1996), car depuis leur mort et celle de Mgr Pierre Claverie, cette forme de violence a cessé. A lire certains articles de presse, ce témoignage de fraternité sans frontière, de pardon et de non-violence a même préparé les esprits à un travail de réconciliation, non seulement des personnes, mais aussi des idées, des doctrines et des légitimités, dans un effort de dépassement des séquelles charriées par une histoire tourmentée.

" La paix et la réconciliation nationale " sont justement les objectifs de la charte que le Président Bouteflika soumit avec succès à référendum le 29 septembre 2005. Ce texte vise à poursuivre le désarmement des extrémistes impliqués dans les violences des années 90 en proposant l'extinction des poursuites judiciaires pour une grande partie de ceux qui décideront de se rendre. Certes, les associations des familles des victimes du terrorisme se sont montrées hostiles à ce projet et continuent d'exiger la repentance publique des assassins. Par ailleurs, l'adoption de la charte n'a pas provoqué la reddition massive du " millier " de terroristes qui, selon les autorités, peuplent encore le maquis. Au 1er octobre 2005, le gouvernement estimait à 10 000 le nombre de repentis depuis le lancement de la politique de concorde civile par le Président Bouteflika en 1997.

Ce programme est considéré par certains comme purement opportuniste et tactique. Ses intentions et ses résultats ne sont peut-être pas à la hauteur des enjeux. Quoi qu'il en soit, les épreuves sanglantes vécues par l'Eglise d'Algérie, aux côtés de tout le peuple algérien, marqueront sans doute une nouvelle étape vers la dissociation du christianisme du fait colonial, qui permettra de mieux distinguer le débat théologique du combat politique. Peut-être les injustices et les souffrances partagées encourageront-elles des rapprochements et des découvertes ?

Les musulmans et l’islam

" Je sais les caricatures de l'islam qu'encourage un certain islamisme, observait Christian de Chergé dans son Testament. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes. " Le mérite du livre de John Kiser est de distinguer entre islam, islamisme (ou islam politique radical) et terrorisme islamique. Mais ne faut-il pas aller plus loin en distinguant clairement les musulmans, qui sont des personnes concrètes, diverses, nombreuses et changeantes, et l'islam, qui est, lui, un système fondé sur un Livre, immuable et unique ? Ceci rejoint les analyses d'Ibn Warraq[16], qui distingue au moins trois islams. Le premier est " ce que le Prophète enseigna, c'est-à-dire les préceptes qui sont contenus dans le Coran. " Le deuxième est " la religion telle qu'elle est exposée, interprétée et développée par les théologiens. Elle comprend la charia et la loi coranique. " Enfin, il y a " ce que les musulmans réalisent, c'est-à-dire la civilisation islamique. " Selon Ibn Warraq, " la civilisation islamique est souvent parvenue au sommet de sa splendeur malgré l'islam 1 et l'islam 2. " On retrouve alors la problématique exposée par John Kiser dans son livre Communist Entrepreneurs, Unknown Innovators in the Global Economy, consacré aux entrepreneurs-innovateurs rencontrés en URSS, à l'occasion de ses nombreux déplacements derrière le rideau de fer, avant 1989. Ces chefs d'entreprise réussissaient malgré le système communiste, et non à cause de lui.

Les moines de Tibhirine sacrifièrent leur vie pour leurs voisins musulmans à la suite du Christ des évangiles, mort sur la croix. Il y a une parfaite cohérence entre l'action des disciples et le message du Maître. Trouve-t-on la même cohérence entre les actes héroïques des musulmans qui refusèrent la violence au prix de leur vie et les prescriptions du Coran ? La notion de martyre (chahid, en arabe) existe dans l'islam. Cependant, les martyrs au sens chrétien (refusant d'abjurer face à un adversaire de leur religion, qu'ils ne peuvent ni fuir ni combattre) ne sont pas l'objet d'autant d'attention, car il y est plus facilement admis de simuler une abjuration pour sauver sa vie[17]. Il reste que de nombreux imams sont morts, en Algérie, pour avoir refusé la violence prônée par certains de leurs coreligionnaires.

L'islam et l'altérité

Subsiste la question du rapport de l'islam à l'altérité. Alain Besançon constate que " l'élimination progressive des minorités européennes (tenues par les musulmans pour chrétiennes) est en cours d'achèvement au Moyen-Orient "[17]. L'Eglise d'Algérie échappera-t-elle à ce sombre destin ? Pourquoi les minorités religieuses quittent-elles si massivement les pays musulmans ?[19] Comment maintenir une théologie et une pratique de la dhimmitude en terre d'islam tandis que les institutions internationales prônent partout l'égalité des droits des citoyens ? L'exode des minorités religieuses et des " apostats "[20] profite-t-il aux peuples de l'islam, ou leur nuit-il ?

En régime de parti unique, les flux migratoires donnent plus d'indications sur l'état de la société que les résultats électoraux. N'en va-t-il pas de même pour les religions ? Selon Mme Shirin Ebadi[21], le pourcentage des jeunes qui quittent l'Iran était, en 2003, le plus élevé de tous les pays du monde[22]. Le récent rapport du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) sur l'état de la culture et de l'instruction dans les différentes régions du monde en 2002 souligne que les pays arabes ont traduit, au cours des cinq derniers siècles, à peine autant de livres que l'Espagne en un an. Ceci n'a pas empêché les ministres arabes de la culture de se réunir, il y a quatre ans, pour une conférence autour du thème de " la sécurité culturelle ". C'est dire combien le système religieux musulman a été jusqu'ici protectionniste[23]. L'avenir dira si la libre circulation des personnes, des idées et des biens le confortera, le transformera ou l'affaiblira.

L’islam est-il réformable ?

Evoquant " le supplice des moines de Tibhirine ", Fethi Benslama écrit, dans son livre Déclaration d'insoumission, qu'il faut se demander " comment une civilisation peut nourrir de tels démons exterminateurs. " Selon lui, " la barbarie ne saurait être accidentelle "[24] et " une responsabilité de façade qui condamne l'islamisme et innocente l'islam est trop court "[25]. L'auteur, psychanalyste et professeur à l'Université Paris VII, d'origine tunisienne, en appelle à une véritable réforme de l'islam. Cette analyse justifie une enquête et une réflexion théologiques qui interrogent les fondements religieux de la culture musulmane, et ne se contentent pas d'approches socio-politiques - utiles, mais limitées - ayant pour seul objet les phénomènes plus récents de l'islamisme ou du terrorisme islamique.

Dans cette optique, Jacques Ellul insistait, au soir de sa vie, sur les différences irréductibles qui distinguent l'islam du christianisme[26]. Pour ceux qui constatent, comme lui, que la théologie et l'anthropologie musulmanes sont fondamentalement différentes de celles des évangiles, il n'est pas évident que les mêmes causes (la rencontre entre la foi et la modernité) produisent les mêmes effets, c'est-à-dire un aggiornamento musulman comparable à celui que l'Eglise catholique réalisa au concile Vatican II. Le retour aux sources préconisé par Jean XXIII renvoyait au Christ des évangiles. Or la religion musulmane est fondée sur les prescriptions du Coran, livre unique et sceau des prophéties, lu selon les hadîths de Mahomet lui-même, et non dans la liberté de l'Esprit reçu à la Pentecôte.

Le fait que ce livre prône le monothéisme, revendique une filiation à Abraham ou mentionne Jésus sous le nom d''Isâ ne fait pas de l'islam une espèce de variante arabe du christianisme. Certains théologiens soulignent que le Dieu du Coran appelle à la soumission[27] et non à la libération, qui est au contraire le message central des Bibles juives et chrétiennes depuis la sortie d'Egypte des esclaves hébreux. Pour ces auteurs, Allâh n'est donc pas le même Dieu que celui des juifs et des chrétiens, et l'affirmation coranique sans cesse répétée de son " unicité " - compréhensible dans le contexte polythéiste de l'Arabie du VIIe siècle - ne rend pas compte des découvertes spirituelles des alliances bibliques successives conduisant au sommet de la révélation judéo-chrétienne : " Dieu est amour " (1 Jn 4, 8). Par ailleurs, Jacques Ellul rappelle que le Jésus des évangiles met en garde les pharisiens contre toute idolâtrie de leur généalogie : " Produisez donc un fruit qui exprime votre conversion, et n'allez pas dire en vous-mêmes : 'Nous avons Abraham pour père'. " (Mt 3, 7-12 ) La filiation avec Abraham, en soi, n'a aucune espèce d'importance : ce sont les œuvres d'Abraham qui comptent, c'est-à-dire l'amour du prochain. Enfin, le Jésus coranique n'est ni la " Troisième Personne de la Trinité " ni " l'Agneau de Pâques ", or le mystère de l'Incarnation et la Passion du Christ sont le cœur des évangiles et de la tradition chrétienne. Pour Jacques Ellul, la mention de Jésus dans le Coran ne recèle donc aucune des potentialités théologiques et anthropologiques du " Nouveau Testament ".

Compte tenu de ces différences scripturaires majeures, les modalités et le résultat d'un éventuel aggiornamento musulman ne suivraient pas nécessairement une course parallèle. Même un auteur comme Olivier Roy, hostile aux analyses " essentialistes " et " culturalistes ", est obligé de reconnaître l'existence d'une " spécificité islamique "[28], et admet que " l'occidentalisation de l'islam " ne conduit pas forcément à une " 'libéralisation' de l'islam ". Selon lui, " l'occidentalisation est non seulement compatible avec un nouveau discours fondamentaliste mais peut même le favoriser. […] L'occidentalisation de l'islam n'a rien à voir avec une réévaluation des dogmes. Ce qui change, c'est la religiosité, pas la religion. "[29] A l'inverse, certains observateurs, musulmans et non-musulmans, prévoient qu'une réinterprétation du Coran aboutirait à une dilution, à terme fatal, de son contenu théologique et pratique. Ils font référence à une relecture qui s'appuierait sur les sciences modernes et les droits de l'homme[30].

Le problème est que les droits de l'homme sont précisément perçus comme issus de la civilisation chrétienne, ce qui les rend suspects en bien des cercles musulmans. D'ailleurs, le retour aux sources n'a-t-il pas déjà été pensé par Mohammed ibn Abd al-Wahab dès le XVIIIe siècle ? La création, en 1902, de l'Arabie Saoudite, et la reconquête de La Mecque, en 1926, par ce pays, responsable depuis lors de l'administration du principal lieu saint musulman, ne sont-ils pas les événements clés à mettre en parallèle avec Vatican II ? Dans les deux cas, il y eut volonté de retourner aux textes fondateurs. La différence est dans le résultat : la relecture des évangiles permit la victoire des partisans du " Dieu inclusif " dans l'Eglise catholique, tandis que le retour au Coran fit triompher les tenants du " Dieu exclusif " dans l'islam salafiste[31].

L'avenir de l'islam

L'épisode de Tibhirine permet-il d'espérer un renversement de tendance ? John Kiser rapporte que, sur son lit de mort, le Cardinal Duval, pourtant accablé par l'annonce de la décapitation des moines, fit ce pronostic énigmatique : " L'Algérie étonnera le monde. " De quelle manière ? Selon Christian de Chergé, les Algériens n'ont jamais séparé " le politico-social et le religieux "[32]. L'islam a pu venir au secours des revendications nationalistes au temps de la colonisation, et peut constituer aujourd'hui un refuge identitaire contre le mouvement à la fois dérangeant et fructueux de la mondialisation[33], qui favorise la diffusion des connaissances scientifiques et religieuses. Toutefois, pourra-t-il longtemps rejeter hors de ses frontières le débat théologique et anthropologique, qui ne cesse de s'enrichir par le dialogue interconfessionnel et international[34] ? Il ne fait pas de doute que la proximité géographique de l'Algérie, et la présence d'une importante diaspora algérienne sur le sol français, feront de ce pays, au cours des prochaines décennies, un lieu privilégié pour réaliser l'ouverture attendue[35] et mesurer les perspectives d'avenir de l'islam à l'échelle mondiale. Tibhirine fut une étape sur ce chemin éprouvant, et témoigne d'une espérance fraternelle. Le monde aspire à être " étonné ".

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[1] Henry Quinson, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, est le traducteur du livre de John Kiser, Passion pour l'Algérie, les moines de Tibhirine, Nouvelle Cité, Prix des libraires Siloë 2006. Il a connu quatre des sept moines tués à Tibhirine. Il est membre fondateur de la Fraternité Saint Paul, communauté présente en milieu musulman à Marseille et en Algérie. Il écrit ici à titre personnel.

[2] A vrai dire, bon nombre de musulmans se déclarent également alarmés par le degré de violence qui secoue leurs pays. Selon Mohamed Charfi, « nulle part ailleurs que dans le monde musulman, le fanatisme religieux n'a fait, ces dernières années, autant de victimes. […] Ce sont donc des raisons particulières qui doivent expliquer la montée du fanatisme islamique. » (Islam et Liberté, Albin Michel, 1998, p. 7)

[3] John Kiser, Passion pour l'Algérie, les moines de Tibhirine, Nouvelle Cité, Prix des libraires Siloë 2006.

[4] Bruno Etienne, Islam, les questions qui fâchent, Bayard, 2003, p. 118.

[5] Selon Bruno Etienne, le verbe qatala signifie à la fois « combattre » et « tuer », mais la traduction la plus répandue est celle que diffuse la monarchie saoudienne.

[6] Bruno Etienne, Islam, les questions qui fâchent, Bayard, 2003, p. 121.

[7] La dhimmitude définit l’ensemble des relations entre la communauté musulmane et les indigènes juifs et chrétiens. Ce statut sacralise une forme de ségrégation religieuse qui fait des juifs et des chrétiens des sujets aux droits plus limités et aux devoirs plus lourds que ceux des musulmans, au nom de la conception coranique de la « tolérance ». Les Etats modernes ont proclamé l’égalité entre les citoyens, mais les discriminations demeurent, car la théologie dominante de l’islam continue de considérer les non-musulmans comme des citoyens de seconde catégorie. Cf. Bat Ye’or, The Dhimmi, Jews and Christians under Islam, Fairleigh Dickinson University Press, 6e édition, 2003.

[8] Bruno Etienne, Islam, les questions qui fâchent, Bayard, 2003, p. 138.

[9] Ainsi, Bruno Etienne, dans Islam, les questions qui fâchent, Bayard, 2003, p. 142 : « Personnellement, je pense que l’Occident n’est pas en guerre contre l’islam, mais contre les déviances de ceux qui, avec l’argent des pétrodollars, exploitent les peuples en se drapant dans les valeurs islamiques interprétées par des néo-fondamentalistes. »

[10] Pierre Guillard, Ce fleuve qui nous sépare, lettre à l’imam Ali Belhadj, Editions Loysel, 1994, p. 25-28.

[11] Abd el-Kader, Ecrits spirituels, traduction de Michel Chodkiewicz, Editions du Seuil, 1982, p. 129-130.

[12] « C’est par la pauvreté, l’échec et la mort que nous allons vers Dieu », écrivait Luc Dochier, moine médecin à Tibhirine, en avril 1994.

[13] « Je ne pense pas que la violence puisse extirper la violence, notait Frère Luc, le 24 mars 1996,. Nous ne pouvons exister comme homme qu'en acceptant de nous faire image de l'amour, tel qu'il s'est manifesté dans le Christ qui, juste, a voulu subir le sort de l'injuste. »

[14] Archives personnelles de Mgr Henri Teissier.

[15] A titre d'exemple, l'Assemblée nationale algérienne adopta, en 1984, un code de la famille qui réduit les femmes au rang de personnes mineures, donne aux hommes le droit d'interdire à leurs épouses de travailler en dehors de la maison, la possibilité de divorcer sur simple demande, le pouvoir d'empêcher leurs filles de se marier sans l'accord paternel, et défend aux musulmanes d'épouser un non-musulman.

[16] Ibn Warraq, Pourquoi je ne suis pas musulman, L’Age de l’Homme, 1999, p. 7.

[17] Cette simulation d’apostasie s’appelle la taqiyya. Son origine remonte aux affrontements entre chiites et sunnites après la mort de Mahomet.

[18] Alain Besançon, Trois tentations dans l’Eglise, Perrin, 2002, p. 146.

[19] Selon certains observateurs, « la stagnation des pays islamiques » s'explique par la discrimination contre les non-musulmans : « Les siècles d'or, les trois premiers, se sont terminés quand les populations dhimmis, non musulmanes, ont été détruites. » (Jean-Jacques Walter, Crépuscule de l'islam, Editions de Paris, 2005, p. 52).

[20] La Sunna sanctionne toute conversion d'un musulman à une autre religion (ou l'adoption d'une philosophie agnostique ou athée) par la peine de mort. La « déclaration des droits de l'homme en islam » de l'OCI en 1990 réaffirme ce principe dans son article 10.

[21] Mme Ebadi est la première femme musulmane à avoir reçu le Prix Nobel de la Paix, en 2003.

[22] Commission des Affaires étrangères, compte-rendu n° 24, 18 décembre 2003.

[23] Christophe Lebreton note avec humour, dans son journal, p. 77 : « Promoteur, moi ? De valeurs, de produits, d’idées, de système, de morale ? C’est une entreprise vouée à l’échec : la concurrence sur le marché des religions est ici trop déloyale. » (Le souffle du don, Journal de Frère Christophe, moine de Tibhirine, Bayard / Centurion, 1999).

[24] Fethi Benslama, Déclaration d’insoumission, Flammarion, 2005, p. 15.

[25] Ibid, p. 71.

[26] Jacques Ellul, Islam et judéo-christianisme, PUF, 2004.

[27] « Que le mot 'musulman' en soit venu, en dépit de sa polysémie, à désigner exclusivement le 'soumis' n'est pas étranger à la terreur », note Fethi Benslama dans sa Déclaration d'insoumission, Flammarion, 2005, p. 24.

[28] Olivier Roy, L'islam mondialisé, nouvelle édition, Seuil, 2004, p. 17.

[29] Ibid, p. 18.

[30] Cette démarche est celle de Rachid Benzine, qui la croit possible et souhaitable : « Pour les nouveaux penseurs de l’islam, seule une nouvelle lecture des textes fondamentaux pourra permettre d’harmoniser les valeurs cardinales de l’islam avec les exigences de la modernité. Seule cette réformation-là permettra l’ouverture de la jurisprudence, l’adhésion véritable de la pensée politique de l’islam à la démocratie et aux droits de l’homme, la réalisation de l’égalité entre les hommes et les femmes, l’émancipation des sociétés musulmanes. » (Les nouveaux penseurs de l’islam, Albin Michel, 2004, p. 26-27)

[31] Force est de constater que le réformisme du début du XXe siècle (Muhammad 'Abduh, Rachîd Rîda) a, lui, fait faillite.

[32] Christian de Chergé, L’Algérie devant Dieu, PISAI, 1974, p. 3.

[33] Pour François Burgat, les islamistes ne font que « poursuivre le processus de décolonisation. » Selon lui, « D'abord, il y a eu les indépendances politiques. Puis économiques, avec les vagues de nationalisations. Aujourd'hui, le repositionnement du Sud par rapport au Nord se place sur le terrain culturel, symbolique, idéologique. » (L'Express, 15 juin 1995)

[34] Beaucoup d'intellectuels musulmans regrettent l'âge d'or des IXe, Xe et XIe siècles. Bagdad menait alors une politique active de traduction des textes grecs, généralisait la technique chinoise du papier et pratiquait une réflexion philosophique ouverte aux exigences de la raison dont témoigne en particulier l'œuvre d'Ibn Ruchd (Averroès). Pour certains auteurs, la responsabilité du déclin revient aux agresseurs mongols, aux croisés et à la Reconquista : la reprise de l'expansion de l'islam en Asie n'a pas suffi à compenser la perte de l'Andalousie. Pour d'autres, le déclin fut la conséquence des luttes internes entre Bagdad, Cordoue et Le Caire, conclu par l'abolition du califat en 1924. Mais l'idéologie religieuse est de plus en plus invoquée pour expliquer la stagnation : seule une conversion théologique et culturelle permettrait au monde musulman de s'ouvrir à nouveau sur l'extérieur comme l'ont fait en leur temps l'Europe de la Renaissance et le Japon de l'ère Meiji.

[35] De nombreuses personnes résidant en France ou en Algérie ont signé le « Manifeste des libertés », publié le 16 février 2004 par le quotidien Libération, à l'initiative de Fethi Benslama. Ce document appelle notamment à « combattre les discriminations qui affectent les minorités » en terre d'islam.

 

 Réactions et commentaires

  • « J'ai trouvé cette analyse précise, claire, et j'ai apprécié l'angle avec lequel la question était abordée. » (C. R., cadre éducatif, Marseille)
  • « J'ai trouvé votre article très intéressant. » (R. B., ancien Premier ministre français, Paris)
  • « L'épisode de Tibhirine... reste un 'épisode'! N'oublions pas les faits massifs qui demeurent ce qu'ils sont, hélas ! [...] Je pense que Jacques Ellul a raison. » (M. B., islamologue, Lyon)
  • « C'est pour moi une super synthèse sur le sujet. Mon amie M., musulmane très intéressée par le christianisme, me dit que "les musulmans sont beaucoup mieux que leur religion" (et moi je pense que les chrétiens sont moins bien que leur religion!). J'ai bien peur qu'il y ait un vice de forme à la base dans l'islam, ce prophète qui est aussi un politique et un guerrier, cette conquète, ce choix de ses successeurs pour le Coran incréé parole de Dieu intouchable. Il y avait une autre tendance - le moutazilisme - qui disait que le Coran écrit était une interprétation humaine du Coran incréé, tendance qui a été repoussée, hélas! Il est évident que de très nombreux musulmans sont inspirés par Dieu mais les fondateurs l'étaient-ils ou ont-ils utilisé, même de bonne fois, le concept monothéiste à des fins politiques? En effet que signifie alors un retour aux sources? Je suis en train de relire le livre de Rachid Benzine Les nouveaux penseurs de l'islam qui répertorie les travaux et pensées d'intellectuels musulmans qui veulent réformer l'islam (certains le payent d'ailleurs cher). Ils disent qu'il faut revenir aux sources en effet, mais revenir au moutazilisme, que seul le concept de Livre comme interprétation humaine peut libérér l'islam et et lui permettre de faire sens dans le monde moderne, d'actualiser sa pensée... Ces penseurs sont naturellement pour les droits de l'Homme, la démocratie, le droit des femmes, etc. Ils ont évidemment un impact libérateur pour leur entourage et leurs lecteurs mais vont-ils avoir un véritable impact sur le monde de l'islam? Ils sont pour l'instant désavoués par les autorités religieuses et Rachid lui même, lorsqu'il va donner une conférence dans une mosquée est violemment pris à partie... Le livre sur Tibirhine est signe d'espoir car il met en valeur une attitude juste: la vérité sur ces questions et l'avenir appartiennent à Dieu, l'urgence est dans la rencontre, la vie partagée... M. (toujours elle) m'a raconté que lorsqu'elle travaillait comme médecin au Maroc, elle voyait certains malades vivre totalement l'esprit des Béatitudes! Aveugles, sans famille, sans rien et rayonnants de la présence de Dieu et éclairant toute la vie de l'hôpital, témoignant de leur foi ('il ne me manque rien puisque Dieu pourvoit'). A Tibhirine aussi, les habitants vivaient les Béatitudes et c'est ce que Christian savait et c'est ce qui le guidait. Certains vivent les Béatitudes à cause de ou malgré l'islam? Il avait décidé une fois pour toute qu'il aurait la réponse au Ciel et suivait l'Esprit qui l'envoyait vers eux. Pour moi en France, voilà ce que je constate là ou je suis: une minorité d'intellectuels musulmans très ouverts au dialogue inter-religieux mais ayant pris leurs distance avec l'islam des mosquées qu'ils jugent fermés (préférant parfois la messe du dimanche avec moi!) et bien souvent tiraillés intérieurement par leur soif d'absolu et 'l'actualité'de l'islam qui les torture, et ces questions sur le statut du Livre; une grande majorité des personnes que je rencontre en banlieue humainement très riches et généreuses (ce ne sont que les maghrébins qui m'invitent à déjeuner quand je fais mes études!), pratiquant 'à la maison', très à cheval sur les principes de respect de l'autre et gardant souvent certaines distances avec la mosquée (c'est variable selon 'ce qui s'y dit') et une minorité inféodée à la mosquée qui exerce un véritable contrôle social sur le quartier avec fermeture humaine de plus en plus grande depuis deux ans : de plus en plus de foulards portés, puis des femmes qui arrêtent de travailler, qui ne fréquentent plus les cours de gym, des personnes qui ne fréquentent plus des non-musulmans, la présence de personnes étrangères (souvent d'Algérie!) qui viennent prendre des responsabilités dans l'entourage de la mosquée et prêcher un islam franchement exclusif... Mes collègues du cabinet sont très inquiets de cette évolution qu'ils voient sur le terrain... Et des mairies parfois naïves et complètement dépassées! » (A. M., consultante, Paris)
  • « Je constate tout d'abord que cet article ne permet pas de distinguer nettement : l'islam tel que le voyaient les moines de Tibhirine et notamment mon frère Christian ; la lecture qu'en fait le livre de John Kiser ; votre propre réflexion et vos questions ; les diverses appréciations dont vous vous faites l'écho. Ces diverses approches se traduisent par des écarts sensibles en ce qui concerne leurs effets de miroir sur l'Islam ! Le titre : " L'islam au miroir de Tibhirine " semblerait vouloir exprimer que vous vous proposez de regarder l'islam à travers les yeux des moines. De toute évidence, votre ambition est plus large et propose plutôt une approche critique de l'islam tel qu'il était vu au miroir de Tibhirine ou plus simplement " L'islam vu par Tibhirine : un miroir déformant ? " De ce point de vue, votre autre article "Optimisme naïf ou invincible espérance ? " a, au contraire, un titre très clair puisqu'il pose une problématique dans laquelle vous vous exprimez en " je ". [...] Il est certain, comme vous le soulignez, que le drame de Tibhirine a aidé les musulmans d'Algérie à progresser sur le chemin de la paix par une prise de conscience qu'une ligne jaune était dépassée. Mais, plus profondément, Tibhirine invite tout chrétien à s'interroger sur son regard sur l'islam … au nom d'une Foi d'amour afin d'éviter de " se donner bonne conscience " en identifiant l'islam avec les intégrismes de ses extrémistes. [...] Ne peut-on, comme y invitait Christian, admettre qu'il y a un idéal musulman et un idéal chrétien, une réalité musulmane et une réalité chrétienne ? [...] Les massacres des populations n'ont-ils jamais été effectués par des chrétiens (Amérique du Sud…) ? Le Coran n'est-il pas une " récitation ", parole de Dieu qu'il faut savoir écouter par le cœur et l'intelligence, bien avant que d'être un Livre ? [...] La rivalité entre christianisme et islam que vous posez d'entrée de jeu comme une donnée est loin d'être évidente et n'est en rien démontrée. Les dangers actuels des fondamentalismes (quels qu'ils soient) sont réels, mais en ce qui concerne les musulmans, les premières victimes en sont les musulmans eux-mêmes. » (H. de C., frère du prieur de Tibhirine)
  • « L'islam ne devrait pas avoir recours aux notions de blasphème ou d’islamophobie pour entraver la liberté d’expression. Ce dernier néologisme, servi en toute circonstance ces derniers temps, joue sur une ambiguïté malsaine et cherche à culpabiliser tous ceux qui osent dire aux musulmans leurs quatre vérités avec franchise et honnêteté. [...] Il n’y a plus de place au djihad hérité de nos ancêtres. Les nouveaux musulmans devront enterrer sans regret cette institution fondamentale de notre héritage. De cette façon, nous rejoindrons à égalité la communauté des humains. Menacer et tuer son prochain ne peux être justifié d’aucune façon et surtout pas pour une question de foi. Profaner ou détruire le patrimoine d’autres croyances comme les bouddhas de Bamian ou les statues antiques n’est pas un acte de civilisation. Ce type de méthodes permet d’être craint, d’obtenir la soumission mais nullement d’être sincèrement respecté. Nos ancêtres ont très tôt eu recours au djihad. Nous ne pouvons pas en être fiers même si les dynasties installées de cette manière ont su bâtir une brillante civilisation. N’oublions pas que les Romains, les Perses, les Turcs, les Mongols… en ont fait autant. Mis à part le témoignage qui exprime l’adhésion à l’islam, les autres piliers classiques de l’islam sont en fait des pratiques rituelles et sociales. Bien d’autres pratiques et interdits sont plus importants pour les musulmans que les cinq piliers recensés par les théologiens. Les nouveaux musulmans devraient réaménager les pratiques rituelles et les interdits qui contribuent à une ghettoïsation de la communauté et à une ségrégation incompatible avec les idéaux de la liberté et de la justice. Par ailleurs, je suis tout à fait convaincu que nous musulmans, nous sommes des gens de cœur (sans en avoir le monopole), des gens de toute fraternité, de bonté, de solidarité et d’hospitalité. Le respect des personnes âgées, des parents, des voisins a un vrai sens chez les musulmans. Cet héritage fait d’amour, de douceur et de sensibilité devrait être notre plus précieux apport à nos sociétés d’accueil en France et en Europe. » (M. P. H., Nouvel Islam)
  • « Merci pour votre article. J'y trouve, outre la confirmation de votre compétence, une grande finesse de jugement et un juste équilibre dans votre analyse de l'islam. [...] Je pense que le message de l'islam - s'il fut bénéfique aux Arabes du VIIe siècle - n'apporte aucune avancée significative ou nouveauté décisive à l'humanité dans son ensemble (on ne retiendra pas pour quelque chose de notable rites et obligations divers). » (Général C. L. B., Versailles)
  • « Merci pour votre bel article ; j’ai visité votre site et peut-être un jour vous constituerez un quatrième ou un cinquième cercle concentrique avec ceux qui sont éclairés par votre témoignage et votre engagement. Les progrès accélérés de l’Islam, le fanatisme croissant, la disparition programmée des chrétiens du Proche et Moyen-Orient (le berceau de notre foi) sont autant de signes terribles que ni la rationalité, ni la fausse compassion conservatrice ni le progressisme bobo n’aident à éclairer. C’est pourquoi votre démarche avec sa prudence intellectuelle et son audace chrétienne est si réconfortante. Je reviens d’une mission de la Banque Mondiale et du FMI dans un pays du Moyen-Orient, où un assez haut dignitaire du régime a évoqué de lui-même à la fin d’une conversation plutôt technique les trois religions d’Abraham, alors que quelques jours avant l’ambassade du Danemark brûlait sur l’instigation du gouvernement, de la police, des services secrets, du parti, qui sait…Diplomatie, double langage, tensions entre des tendances divergentes ??? La maison d’Ananie n’est pas loin de la mosquée des Ommeyades. Et pourtant où en sommes-nous aujourd’hui… » (P. M., haut fonctionnaire, Paris)
  • « Dans les années de ma jeunesse, avant la Seconde Guerre Mondiale, pour toute une intelligentsia de l'Eglise catholique le marxisme était devenu une incarnation supérieure de l'esprit des Evangiles. D'aucuns trouvèrent ensuite des mérites à l'efficacité humaine du national-socialisme allemand. Et dans les cercles intellectuels catholiques, depuis une vingtaine d'années c'est un autre totalitarisme, l'islam, qui est considéré comme l'idéal le plus proche de la vie évangélique. Or l'avenir de la France, et de sa civilisation, est aujourd'hui beaucoup plus menacé par le problème que pose ses relations avec l'islam qu'elle ne le fut par celui que posait ses relations avec le marxisme ou avec le nazisme. L'une comme l'autre de ces deux idéologies étaient de date récente, sans traditions ; elles ne pouvaient longtemps survivre aux personnages charismatiques qui avaient assuré leur succès. Il n'en est plus de même avec l'islam, à la fois une mystique religieuse et une formidable volonté de puissance. Emergées il y a treize siècles, elles maintiennent aujourd'hui, dans une réclusion isolée du reste de l'humanité, plus d'un milliard et demi d'hommes et de femmes auxquels toute liberté d'options personnelles sont rigoureusement interdites. Et cette mystique religieuse comme cette volonté de puissance, indissociablement imbriquées l'une dans l'autre, connaissent, depuis l'effondrement de l'Europe à la suite des deux guerres du XXe siècle, un regain de dynamisme étayé sur une population très majoritairement jeune. Christian de Chergé était conscient de cette nouvelle conjoncture. Il avait assurément en vue d'en tenir compte, en cherchant à promouvoir le type de réponse qui lui paraissait le plus approprié. Mais sa grande richesse spirituelle n'allait pas de pair avec une saine capacité d'analyse politique. Un autre grand mystique qui avait été également fasciné par l'islam, une fascination qui l'avait aussi conduit à chercher son salut en compagnie du Christ, Charles de Foucauld, avait de la conjoncture politique une analyse bien différente, et, pour moi, beaucoup plus perspicace. Le 1er juillet 1916, il écrivait à René Bazin : 'Si nous n'avons pas su faire des Français de ces peuples, ils nous chasseront. Le seul moyen qu'ils deviennent Français c'est qu'ils deviennent chrétiens. Sinon avant cinquante ans nous serons chassés de l'Afrique du Nord.' Nous l'avons été quarante six ans plus tard. La question qui se pose à nous aujourd'hui est la suivante : Notre Dame de Paris sera-t-elle transformée en mosquée pour le sixième centenaire de la conversion en mosquée de Sainte Sophie ? En 2053, dans quarante six ans. Christian de Chergé et ses moines de Tibhirine ne seraient pas morts en vain si leur tragédie pouvait ouvrir les yeux de ceux des catholiques qui ne veulent pas savoir ce qu'est l'islam et la menace à laquelle l'Eglise, et la France, doivent aujourd'hui faire face. » (H. B., écrivain, Clichy)