Jean-Louis Harouel

Professeur à l'université de Paris-II

Le christianisme, l'islam et l'esclavage

"C'est l'Europe chrétienne qui a détruit l'esclavage des Noirs"

Le Figaro, 30 décembre 2005

 

Les ancêtres des actuels Antillais n'ont pas été déportés par des Européens colonisateurs de l'Afrique, mais par des marchands européens qui venaient acheter une «marchandise» que produisait et vendait l'Afrique noire : l'esclave noir. La fourniture des quelque 12 millions d'esclaves de la traite atlantique a été une affaire afro-africaine. De longue date sillonné par les voyageurs musulmans, l'intérieur de l'Afrique est demeuré jusqu'au premier tiers du XIXe siècle inconnu aux Européens. Des négriers noirs se chargeaient de la capture des esclaves, de leur acheminement jusqu'à la côte et de leur vente. Les Etats exportateurs d'esclaves de la côte atlantique de l'Afrique noire considéraient ce trafic comme leur commerce naturel.

Les Européens n'ont pas inventé la traite des Noirs, qui existait déjà depuis des siècles à destination du monde musulman. En effet, l'islam, tout en invitant les maîtres à une plus grande bienveillance envers leurs esclaves, a entériné l'institution de l'esclavage. La religion musulmane autorise à posséder des esclaves. Dès le haut Moyen Age, le monde musulman est devenu le grand importateur d'esclaves. Dans les premiers siècles de l'islam, de nombreux Blancs d'Asie et d'Europe sont déportés en terre musulmane. En particulier, des Slaves (d'où les termes «esclave», «ex-slave») sont massivement capturés dans des razzias et, au mépris des excommunications, vendus par les Vénitiens ou les Marseillais aux musulmans d'Egypte. Mais, parallèlement, la demande d'esclaves du monde arabo-musulman entraîne la mise en route de deux courants de traite en provenance d'Afrique noire. L'un, terrestre, conduit les esclaves du subcontinent noir au nord de l'Afrique à travers le Sahara (traite transsaharienne). L'autre, maritime, achemine les esclaves noirs des ports de la côte est de l'Afrique jusqu'au Moyen-Orient (traite orientale). Il semble qu'au total, entre le milieu du VIIe siècle et la fin du XIXe siècle, les traites musulmanes aient déporté un nombre de Noirs nettement supérieur à la traite européenne.

D'ailleurs, outre les traites musulmanes, il existait dans l'Afrique noire de l'époque médiévale et moderne de vastes réductions en esclavage et un important trafic interne d'esclaves (traite interne). L'arrivée des navigateurs européens a été providentielle pour le commerce des Etats riverains du golfe de Guinée, trop éloignés du Sahara pour qu'ils y écoulent leur surplus d'esclaves. Il y avait là une offre d'esclaves prête à satisfaire d'éventuels acquéreurs.

A la différence de l'islam, le christianisme n'a pas entériné l'esclavage. Mais, comme il ne comportait aucune règle d'organisation sociale, il ne l'a pas non plus interdit. Pourtant, l'idée d'une égalité de tous les hommes en Dieu dont était porteur le christianisme a joué contre l'esclavage, qui disparaît de France avant l'an mil. Cependant, il ressurgit au XVIIe siècle aux Antilles françaises, bien que la législation royale y prescrive l'emploi d'une main-d'oeuvre libre venue de France. L'importation des premiers esclaves noirs, achetés à des Hollandais, se fait illégalement. Puis, à partir du milieu du siècle, l'explosion de la monoculture sucrière sur le modèle des Antilles anglaises provoque un recours massif aux esclaves noirs. L'Etat s'incline devant le choix des planteurs : il officialise l'esclavage en fixant le statut des esclaves (ordonnance de 1685). C'est une profonde régression juridique.

Mais la logique égalitaire du christianisme est toujours présente. Elle va faire prévaloir l'idée que l'esclavage est incompatible avec la dignité de l'être humain. Le mouvement part d'Angleterre, le pays qui a déporté au XVIIIe siècle le plus de Noirs vers l'Amérique. La force du mouvement abolitionniste anglais repose principalement sur la prédication des pasteurs évangélistes, dénonçant la traite comme un crime contre l'homme et contre Dieu. Il en résulte une interdiction de la traite par l'Angleterre (1806) et les autres puissances occidentales (France, 1817), puis une abolition de l'esclavage lui-même dans les colonies anglaises (1833) et françaises (1848). Décidée par l'Europe, la suppression de la traite atlantique est imposée par elle aux Etats pourvoyeurs d'esclaves de l'Afrique occidentale.

Cependant, rien de pareil n'a eu lieu dans le monde musulman. L'esclavage étant prévu par l'islam, il eût été impie de le remettre en cause. Aussi, l'autre grande forme de la traite vers l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient continua de plus belle au XIXe siècle, qui correspondit à son apogée. Et, parallèlement, des Européens continuaient d'être razziés en Méditerranée et réduits en esclavage à Alger, Oran, Tunis ou Salé (Rabat). D'où l'expédition de 1830 à Alger. Finalement, ce fut la colonisation qui mit presque entièrement fin à la traite musulmane. Lorsqu'elle colonise l'Afrique, dans la seconde moitié du XIXe siècle, l'Europe est antiesclavagiste. Les puissances européennes abolissent l'esclavage, s'attaquent aux marchands d'esclaves et font cesser l'exportation au départ de leurs colonies.

Même si elle l'a beaucoup pratiqué aux XVIIe et XVIIIe siècles, c'est l'Europe chrétienne qui a détruit l'esclavage des Noirs, d'abord aux Amériques puis en Afrique et au Moyen-Orient. L'Occident ne l'a pas fait sans débats, reculs, déchirements. Mais enfin, il l'a fait, et c'est lui seul qui l'a fait. L'Europe devrait être célébrée pour cela. Au lieu de quoi elle est aujourd'hui seule accusée d'un passé esclavagiste que partagent d'autres civilisations: tout particulièrement le monde musulman, mais aussi l'Afrique noire précoloniale. On oublie trop que la suppression de l'esclavage en Afrique est un des bienfaits majeurs de la colonisation.

 

Jean-Louis Harouel

Professeur à l'université de Paris-II

Le «hidjab», la croix et l'Europe

Le Figaro, 05 décembre 2003

 

Pressions en faveur du voile islamique, atteintes à la mixité, dénonciation de l'«islamophobie» : la cohésion républicaine en péril ?

 

Bien évidemment, il ne faut pas interdire à l'école les croix, médailles de baptême, étoiles de David, mains de Fatma et autres amulettes. Ce sont des signes d'appartenance religieuse à caractère privé, non ostentatoire.

Le foulard islamique est bien davantage que cela. C'est la manifestation publique, ostentatoire, du respect d'une norme vestimentaire édictée par une religion. Or, cette règle vestimentaire, dès lors qu'elle prépare dès l'adolescence les femmes au statut d'infériorité et de soumission auquel les condamne l'islam, est contraire au principe d'égalité, en l'espèce d'égalité entre les sexes, qui régit le droit des États européens.

Le foulard à l'école, c'est l'affirmation publique que l'on peut vivre en France sous le droit coranique, en bafouant celui de la République. Cette voyante soumission à une prescription vestimentaire divine dans ce temple de la laïcité qu'est l'école républicaine française correspond à une offensive politico-religieuse des courants les plus agressifs de l'islam. Le foulard à l'école est un étendard islamique planté dans le sol français, pour bien manifester que celui-ci est désormais terre d'islam, et que la loi de l'islam a vocation à y régner entièrement.

Un message explicite doit être adressé d'urgence aux islamistes pour leur signifier qu'il n'est pas question de leur livrer en otages les populations immigrées venues de pays musulmans, et que la France n'est pas terre d'islam. Il faut donc interdire le foulard à l'école, et le foulard seul. Il ne faut pas se laisser intimider par l'accusation d'islamophobie. Il ne faut pas livrer au pouvoir des islamistes et laisser enfermer dans la loi islamique tous les jeunes gens et jeunes filles qui aspirent à vivre dans la totale liberté par rapport à la religion dont bénéficient les sociétés sécularisées de l'Europe. C'est un indispensable premier pas vers cet «islam des Lumières» qu'appelle de ses voeux Bernard-Henri Lévy.

Un islam des Lumières ne pourra apparaître que lorsque la religion musulmane aura subi l'équivalent de ce qu'a subi depuis trois siècles la religion chrétienne. Elle a subi la haine, le mépris, la dérision, le rejet, la violence. Aucune autre civilisation n'a accompli un travail de démonstration de la stupidité et de la nocivité de sa religion comparable à ce que l'Europe a fait dans ce domaine depuis le XVIIIe siècle.

Aujourd'hui, le catholicisme est une religion ayant perdu sa vigueur. Il est bénin, tolérant, accommodant, repentant, aussi peu exigeant en matière de dogme que de discipline. Quand l'islam en sera là, on pourra parler d'un «islam des Lumières». Il n'en demeurera que l'idée d'un dieu unique, et du désir du bien qu'il a mis dans le coeur des hommes. C'est-à-dire à peu près le théisme de Voltaire.

L'islam, pourtant déjà ancien de près d'un millénaire et demi, est resté une religion étrangement jeune, parce qu'elle n'a jamais été vraiment contestée. Il faut aider l'islam à vieillir, à s'adoucir, à s'humaniser, dans l'intérêt des musulmans et de l'humanité entière. D'où l'urgence d'interdire le foulard.

En revanche, interdire au nom d'une fausse symétrie la croix ou autre pendentif serait un profond contre-sens quant à la signification de la laïcité. De même qu'il serait aberrant et politiquement suicidaire de supprimer une fête légale d'origine catholique pour la remplacer par une fête religieuse musulmane. Par démagogie et faiblesse, on tournerait ainsi le dos à la recherche d'un islam des Lumières. On travaillerait à faire officiellement de la France entière une terre d'islam, et de l'ensemble des Français un peuple islamisé : un jour par an, pour commencer. Une fête religieuse musulmane n'aurait pas du tout en France la même signification qu'un jour férié d'origine chrétienne, issu d'un compromis séculaire avec l'État laïque et anticlérical. Faire de l'Aïd-el-Kébir un jour férié constituerait un prodigieux cadeau à la fois aux islamistes et au Front national, qui ont ici les mêmes intérêts, et compromettrait radicalement l'assimilation de l'immigration issue de pays musulmans. Ce serait le commencement de la fin pour la laïcité française, pour une sécularisation résultant de l'esprit même du christianisme.

Certes, la sécularisation des sociétés européennes a été réalisée au prix de grands combats intellectuels et d'affrontements souvent violents. Il n'en reste pas moins que cette sécularisation était inscrite dès l'origine dans le christianisme. Elle résulte de ces deux proclamations fondatrices : «Mon royaume n'est pas de ce monde» et «Rendez à César ce qui est à César». De là découle la séparation du spirituel et du temporel, du profane et du sacré, de l'Église et de l'État. Comme le note Élie Barnavi, historien et ancien ambassadeur d'Israël en France, c'est là que réside la grande explication du décollage de l'Occident.

Il y a dans le christianisme une logique de sécularisation. Elle explique le développement de la liberté de l'esprit, la curiosité scientifique, la remise en cause de la religion et de l'Église, la laïcité. L'agnosticisme et l'athéisme qui se développent presque impunément depuis le XVIIIe siècle sont le produit de l'esprit de liberté que portait en germe le christianisme. C'est l'Europe chrétienne, parce qu'elle était chrétienne, qui a inventé et mis en oeuvre la distinction du spirituel et du temporel, la sécularisation du politique et de la société, l'État moderne, la laïcité. Pour la même raison, c'est la civilisation européenne qui a inventé les droits de l'homme, la démocratie moderne, le progrès scientifique et technique, le développement économique.

La chance des populations immigrées originaires de pays musulmans se trouvant actuellement en Europe est de pouvoir vivre dans une société qui est le produit historique de la civilisation chrétienne : une société sécularisée, moderne, libre, tolérante, à haut niveau de vie moyen et socialement généreuse. Leur assimilation à cette société passe par leur adhésion à ses valeurs, qui sont dans une large mesure des valeurs chrétiennes sécularisées.

L'avenir de l'Europe est peut-être musulman mais les racines de l'Europe ne sont, n'en déplaise à Jacques Chirac, aucunement musulmanes. L'Europe ne doit certes pas être un «club chrétien» au sens confessionnel du terme. Mais pour ce qui est de l'histoire, de la civilisation, des valeurs, il est bien évident qu'elle est une entité chrétienne et ne peut pas être autre chose, à peine de se renier entièrement, de perdre totalement son sens. Si l'Europe était conséquente avec elle-même, elle devrait mettre, au centre du cercle d'étoiles de son drapeau, une croix pareille à celle du drapeau suisse : une croix qui, pas plus que celle-ci ne serait un symbole religieux, mais bien l'emblème de l'histoire et de la civilisation de l'Europe.

 

 

Tibhirine: page d'accueil

 

 

 

 Les moines de Tibhirine Les moines de Tibhirine Les moines de Tibhirine Les moines de Tibhirine Les moines de Tibhirine Les moines de Tibhirine Les moines de Tibhirine Les moines de Tibhirine Les moines de Tibhirine Les moines de Tibhirine Les moines de Tibhirine Les moines de Tibhirine Les moines de Tibhirine Les moines de Tibhirine Les moines de Tibhirine Les moines de Tibhirine Les moines de Tibhirine Les martyrs de Tibhirine Les martyrs de Tibhirine Les martyrs de Tibhirine Les martyrs de Tibhirine Les martyrs de Tibhirine Les martyrs de Tibhirine Les martyrs de Tibhirine Les martyrs de Tibhirine Chrétiens en Algérie Chrétiens en Algérie Chrétiens en Algérie Chrétiens en Algérie Chrétiens en Algérie Chrétiens en Algérie Chrétiens en Algérie Chrétiens en Algérie Chrétiens en Algérie Chrétiens en Algérie Amitié islamo-chrétienne Amitié islamo-chrétienne Amitié islamo-chrétienne Amitié islamo-chrétienne Amitié islamo-chrétienne Amitié islamo-chrétienne Amitié islamo-chrétienne Amitié islamo-chrétienne Amitié islamo-chrétienne Amitié islamo-chrétienne Islam Islam Islam Islam Islam Islam Islam Islam Islam Islam Islam Islam Islam Islam Islam Islam Islam Islam Islam Islam Islam Islam Islam Islam Islamistes Islamistes Islamistes Islamistes Islamistes Islamistes Islamistes Islamistes GIA GIA GIA GIA GIA GIA GIA GIA GIA GIA Coran Coran Coran Coran Coran Coran Coran Coran Coran

Dialogue interreligieux Dialogue interreligieux Dialogue interreligieux Dialogue Dialogue interreligieux Dialogue interreligieux Dialogue interreligieux Dialogue interreligieux