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PASSION POUR L'ALGERIE | ![]() |
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Les moines de Tibhirine
John Kiser___- |
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Tibhirine, dix ans aprèsFécondité et rayonnement |
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par Henry Quinson
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(Cliquez ici pour télécharger cet article en format PDF)Cas de conscienceIl y a dix ans, le 21 mai 1996, Christian de Chergé, le supérieur (prieur) du monastère cistercien Notre-Dame de l'Atlas, à Tibhirine, et six de ses frères trappistes furent - c'est la version officielle, toujours contestée - assassinés par des terroristes musulmans du GIA (Groupes islamiques armés), après 56 jours de captivité dans le maquis algérien. Certains ont interprété cet assassinat collectif comme un échec pour ces moines qui avaient choisi de vivre en amitié avec leurs voisins musulmans. Mais le prieur de Tibhirine avait, dans son testament spirituel, prévu la controverse : " Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m'ont rapidement traité de naïf, ou d'idéaliste : 'qu'il dise maintenant ce qu'il en pense !'. " On le voit, Christian de Chergé avait pleinement conscience, d'une part, du danger de la situation, et, d'autre part, de l'interprétation négative que feraient certaines personnes de son éventuel assassinat. Pourtant, avec toute sa communauté, il a délibérément accepté le risque de sa mise à mort. Pourquoi ? Quelle pouvait bien être la fécondité attendue de cette présence monastique dans un village pauvre, en terre d'islam, jusqu'à la mort ? L'amour plus fort que la mortOn a beaucoup écrit sur la mort des moines, mais il faut aussi s'intéresser à leur vie quotidienne, discrète, riche d'une présence datant de 1938. Grâce au travail d'historiens comme John Kiser (cf. encart) nous avons maintenant une meilleure intelligence de ce mystère d'Incarnation en "terre d'islam". Celle du Christ d'Israël sous l'empire romain s'était déjà " terminée par un meurtre ", comme le notait Christian de Chergé peu avant sa propre mort. Dans cette optique, une présence monastique dans une Algérie ravagée par la violence ne pouvait exclure un échec à vue humaine, au contraire : " C'est par la pauvreté, l'échec et la mort que nous allons vers Dieu ", écrivait Luc Dochier, moine médecin à Tibhirine, en avril 1994. Mais, dans la théologie chrétienne, un tel échec peut être transformé en témoignage fécond. En partageant la condition mortelle d'un peuple, d'une civilisation, et même d'une religion, en allant jusqu'à disparaître avec eux, il peut y avoir transformation de ce milieu. C'est la grâce du martyre, qui, dans la faiblesse, parvint à convertir pacifiquement l'empire romain, jusqu'à faire du christianisme sa religion officielle, sous l'empereur Constantin et ses successeurs. Pour les moines de Tibhirine, donc, être assassiné n'était certes pas un bien, mais ce n'était pas, pour autant, un échec absolu. Il s'agissait avant tout de répondre à la demande de leurs voisins musulmans qui voulaient qu'ils restent jusqu'au bout avec eux, malgré l'insécurité grandissante. Mais cette relation d'amour désintéressé et fidèle entraîna la communauté à vivre le mystère de l'Incarnation pascale dans toute sa fécondité. " Je ne pense pas que la violence puisse extirper la violence, notait Frère Luc, le 24 mars 1996. Nous ne pouvons exister comme homme qu'en acceptant de nous faire image de l'amour, tel qu'il s'est manifesté dans le Christ qui, juste, a voulu subir le sort de l'injuste. " En effet, la mort injuste du Christ brise la spirale infernale de la haine et donne naissance à une humanité nouvelle animée du souffle de l'Esprit. Les amis de TibhirineComment le souffle de l'Esprit a-t-il soufflé sur le village de Tibhirine depuis la Pâques de " ses " moines ? Pour les villageois, l'enlèvement, l'assassinat, puis la décision de l'Ordre cistercien de ne pas conserver le monastère fut une épreuve terrible. Heureusement, le diocèse d'Alger se porta acquéreur de la propriété, et une association naquit pour faire vivre ce lieu, malgré les problèmes de sécurité dans la région de Médéa. Ce groupe reste " volontairement dans une certaine discrétion ". Il est cependant très actif, grâce à ses donateurs et à un prêtre qui se rend chaque semaine au monastère pour veiller à l'avancement de divers projets au service des villageois. Selon l'Association des Amis de Tibhirine, " la nette amélioration de l'environnement sécuritaire algérien se poursuit, y compris dans la région de Médéa. […] Maintenant, les villageois peuvent dormir tranquilles sans se relayer la nuit pour monter la garde. Dans ce contexte, de plus en plus de souhaits de visites et de pèlerinages à Tibhirine, […] français ou algériens, […] se réalisent progressivement. " La mort des moines n'a donc pas mis fin à la vocation du monastère comme " lieu de paix, de charité et de partage. " Réconciliation en AlgérieCependant, la fécondité du martyre des moines dépasse largement le seul village de Tibhirine. La série d'assassinats de religieux chrétiens en Algérie (19 meurtres de 1993 à 1996) s'est terminée avec leur mort et celle de Pierre Claverie. A lire certains articles de presse, ce témoignage de fraternité sans frontières, de pardon et de non-violence a préparé les esprits à un travail de réconciliation, non seulement des personnes, mais aussi des idées, dans un effort de dépassement des séquelles charriées par une histoire nationale tourmentée. " La paix et la réconciliation " sont justement les objectifs de la charte que le Président Bouteflika soumit avec succès à référendum le 29 septembre 2005. Ce texte vise à poursuivre le désarmement des extrémistes impliqués dans les violences des années 90, en proposant l'extinction des poursuites judiciaires pour une grande partie de ceux qui décideront de se rendre. Certes, les associations des familles des victimes du terrorisme se sont montrés hostiles à ce projet et continuent d'exiger une demande publique de pardon de la part des assassins. Par ailleurs, l'adoption de la charte n'a pas provoqué la reddition massive du " millier " de terroristes qui, selon les autorités, peuplent encore le maquis. Sans doute les intentions et les résultats de cette politique ne sont-ils pas à la hauteur des enjeux, mais les épreuves sanglantes vécues par l'Eglise d'Algérie, aux côtés de tout le peuple algérien, marqueront, quant à elles, une nouvelle étape vers la dissociation du christianisme du fait colonial, qui permettra probablement de mieux distinguer le débat théologique du combat politique. Peut-être les injustices et les souffrances partagées encourageront-elles des rapprochements et des découvertes ? Dix ans pour comprendre et méditerMais la fécondité de la vie et de la mort des moines de Tibhirine déborde largement l'Algérie. La publication du testament spirituel de Christian de Chergé par le journal La Croix le jour de la Pentecôte 1996 a fait le tour du monde et reste accessible sur de nombreux sites Internet. En France, la grande " manifestation de solidarité et de protestation nationale " organisée par François Bayrou, le 28 mai 1996, au Trocadéro, rassembla plus de dix mille personnes. A l'Académie française, Jean-Marie Rouart prononça, le 6 décembre 2001, un discours dans lequel il conclut que " les moines de Tibhirine, symbole de tous les martyrs de l'Algérie, ont augmenté ce capital de l'âme sans lequel l'humanité risquerait l'asphyxie : grâce à eux, nous pouvons respirer. " Au rayon des livres, le rayonnement a été considérable. En France, pas moins de 12 ouvrages ont été publiés sur les moines en moins de 10 ans. A l'étranger, celui qui a le plus impressionné les connaisseurs de l'Algérie est l'enquête de John Kiser (cf. l'encart). Publiée en 2003 aux Etats-Unis, après le choc du 11 septembre 2001, il a déjà été traduit en allemand. Les éditions Nouvelle Cité l'édite en français pour le 10e anniversaire de la mort des moines, corrigé et mis à jour. C'est le livre le plus complet paru sur le sujet, toutes langues confondues.
Un message pour le monde d'aujourd'huiDans son testament spirituel, Christian de Chergé écrivait : " Je ne vois pas comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j'aime soit indistinctement accusé de mon meurtre. C'est trop cher payé ce qu'on appellera, peut-être, la 'grâce du martyre' que de la devoir à un Algérien, quel qu'il soit, surtout s'il dit agir en fidélité à ce qu'il croit être l'islam. " Il voulait plonger son regard " dans celui du Père pour contempler avec lui Ses enfants de l'islam tels qu'Il les voit. " Ce regard du Père manifesté en Jésus Christ est le regard d'un Dieu d'amour. Les moines de Tibhirine ont aimé leurs voisins avec leurs différences en proclamant la vérité de l'Evangile par une vie de charité fraternelle sans frontière. La paix qui entourait le monastère était fondée sur la reconnaissance, l'hospitalité, l'entraide et la coopération dans le travail. A la mort des moines, une mère de famille algérienne écrivit à l'archevêque d'Alger : " Notre devoir à nous est de continuer le parcours de paix, d'amour de Dieu et de l'homme dans ses différences. Notre devoir est d'arroser les graines léguées par nos moines. " Tibhirine - qui veut dire " jardin " en langue berbère - n'a pas fini de féconder la terre des hommes. Ce rayonnement est salutaire pour notre temps.
Commentaires"L'intention est bonne et la lecture des événements est très chrétienne et hexagonale : nul grief, mais qu'en est-il de l'opinion publique... algérienne d'abord, arabe ensuite? (...) Les lectures sont si diverses! (...) Rayonnemnt mondial ? Non, mais euro-américain, parce que répondant à notre attente 'idéalisée'. Qu'en disent les revues arabes ou musulmanes ? Quant à 'l'identité de l'Algérie' aujourd'hui, qui peut en décrire le contenu ?" (M. B., ancien directeur du PISAI, Rome) |